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Spartacus, un siècle après. L'insurrection infinie

Spartacus, un siècle après. L'insurrection infinie

Publié le par Marc Escola (Source : Stéphane Hervé)

Appel à contributions, Anno II 2019 (2)

For English version see below

SPARTACUS un siècle après.

L’INSURRECTION INFINIE.

En 73 av. J.C. un esclave de la République de Rome se libère du joug qui lui impose de prendre part au combat des gladiateurs. Spartacus s’insurge, mais pas tout seul : il prend la tête d’une masse de rebelles – pour la plupart esclaves et déserteurs – qui avant d’être vaincue fait preuve de capacités stratégiques et militaires inattendues, donnant vie à des formes de guérilla sophistiquées, et mène la vie dure à de nombreuses légions de la République. Son histoire est celle d’une révolte servile qui a donné du fil à retordre aux historiens de profession. Toutefois l’expérience de Spartacus n’est pas seulement une histoire qui mérite d’être explorée avec les outils des historiens (sources, archives, témoignages). Elle incarne aussi une figure conceptuelle dans le sens que Deleuze donne à cette notion : un nom qui se désobjectivise et entre dans une trame de relations dans laquelle elle devient un concept capable de condenser la puissance d’un geste, la raison d’une vie. Spartacus, dans ce sens, est le nom d’un fantasme qui révèle la valeur du geste politique, quand l’impossible devient possible et, soudain, à chaque instant, peut se répéter. Son histoire, dans ce sens, irradie au-delà de l’histoire, suspend même l’histoire, et de cette manière permet à celui qui vit hors de l’histoire d’y pénétrer. C’est peut-être, qui sait, la raison qui pousse Marx, dans une lettre à Engels de 1861, à formuler un jugement flatteur sur un révolté: Spartacus est « le type le plus épatant qu’il nous est donné de voir dans toute l’Antiquité. Grand général (pas un Garibaldi), noble personnalité, authentique représentant du prolétariat antique ».

La capacité des rebelles menés par Spartacus à organiser la révolte, résistant à l’assaut des troupes provenant de Rome, augmentant, grâce aux victoires, le nombre d’esclaves qui rejoignent les révoltés, perdure au cours de l’histoire. Cette aventure, au fond, révèle probablement de manière exemplaire l’importance de la mémoire pour la politique selon l’idée de Walter Benjamin qu’un devoir révolutionnaire fondamental est d’inventer une tradition des opprimés de sorte que les défaites des derniers ne soient pas vaines mais doivent plutôt prouver l’urgence de l’insurrection. C’est plus ou moins ce que devait penser un groupe de pacifistes, socialistes, communistes qui en 1914 donne vie à la Ligue spartakiste. En 1919, il y a cent ans, après la fin de l’horreur de la Grande Guerre, la révolte de l’esclave étranger contre la domination de Rome semble se matérialiser à nouveau dans le soulèvement de la ligue spartakiste à Berlin (janvier 1919). L’insurrection qui par sa défaite révèle le massacre de la démocratie par une partie de la démocratie que la récente République de Weimar perpètre en ne réglant pas ses comptes avec l’héritage militariste et autoritaire du Deuxième Reich. Tout cela révèle ce que Benjamin expliquera dans ses Thèses d’Histoire (1940) : la social-démocratie est inapte à résister au fascisme parce qu’au fond elle partage la même dimension du temps et de l’histoire. Au contraire, la révolte de Berlin, qui échappe aux mains de ceux qui devraient la mener, la politique fait l’expérience d’une autre temporalité ou mieux, elle semble faire l’expérience directe du temps contre la logique de la continuité historique.

Le numéro de K consacré à Spartacus identifie une série de domaines d’étude qui pourraient favoriser une focalisation cruciale pour définir la logique, la généalogie et l’actualité d’une révolte destituante en mesure d’incarner la charge spectrale de l’exemple politique jusqu’à alimenter, c’est notre hypothèse, l’insurrection des « Gilets jaunes » et les formes d’insubordination des migrants contre leur condition révoltante:

1) La figure de Spartacus mérite qu’on poursuive une enquête de nature historique dans le domaine de la romanité, en posant une série de questions qui pourraient non seulement définir, du point de vue du droit romain une configuration juridique précise de l’insubordination radicale mais aussi de faire émerger des problèmes importants comme celui, par exemple, de la confrontation entre la logique de la destitutio opposée à la logique de la costitutio, permettant de cette manière à des catégories d’analyse classiques d’exercer une influence sur le temps présent.

2) Le nom de Spartacus exige une reconsidération du rapport entre révolte et violence collective des gestes destituants. Si la rupture que la révolte, en tant qu’événement, porte en elle se présente comme refus des conditions d’existence actuelles, ainsi que des rapports de pouvoir sur lesquels elles s’appuient, on ne pourra alors pas taire le caractère commun de cette rupture, de nature à révoquer la légitimité même de tout ce qui s’oppose à elle. Comme l’écrivit le germaniste italien Furio Jesi, dans son livre posthume publié en 2000 (mais pensé au lendemain de 68), Spartacus, « à l’heure de la révolte on n’est plus seul dans la ville » ; bien qu’une telle solidarité ne dépende pas seulement de trajectoires collectives de subjectivation, mais plutôt de la complicité, intime et personnelle, qui réunit tous les gestes capables de mettre en discussion la logique de l’injustice. Nous pensons ici aux récents événements des « Gilets jaunes » français et aux analyses que ce soulèvement populaire est capable de susciter D’ailleurs, la figure de Spartacus pourrait accompagner l’action politique contemporaine à travers une trame serrée de fils discursifs, de constellations imaginaires et esthétiques (dans la lignée, naturellement, du Spartacus de Kubrick).

3) Spartacus était un esclave, un étranger, qui se rebelle contre son destin en promouvant une insurrection collective capable de se répandre comme une traînée de poudre et de prendre les traits d’une révolte sociale : un non homme, le type même de la force de travail presque à coût zéro, qui dans la révolte, dans l’action, accède à une condition proprement humaine, la politique. Une politique qui clairement n’a pas pour objectif le pouvoir mais sa mise à sac définitive. Aujourd’hui il est possible de penser que la condition migrante comme nouvelle forme d’esclavage devienne le détonateur d’une insurrection généralisée qui se passerait de toute forme de représentation et de médiation. Ou alors, bien qu’ils soient efficaces, les discours qui se servent de l’image des « nouveaux esclaves » pour désigner de façon générique la catégorie des travailleurs migrants recrutés comme journaliers dans les campagnes de l’Europe méditerranéenne, ne montrent-ils pas, dans leur dimension analytique, quelque fragilité ? Exception faite des cas où la dimension d’esclavage peut être documentée par les conditions d’exploitation physique des travailleurs journaliers, l’image de « nouveaux esclaves » avec l’aura exceptionnelle qui en découle, tend probablement à nuancer l’ensemble des pratiques de résistance exercées par les ouvriers agricoles dans ce secteur du marché du travail. Cet aspect pourrait émerger par ailleurs seulement si le « quotidien » est considéré par une catégorie conceptuelle interprétée comme la succession de routinisation qui investissent les sujets au travail. Sous la loupe du quotidien, les gestes minuscules de soustraction au pouvoir et aux logiques du marché pourraient prendre les traits d’une exceptionnalité inégalable et devenir action politique et destituante.

ENVOI DES PROPOSITIONS AVANT LE 15 JUIN 2019 (2.500 SIGNES MAX.)

PRÉCISER SI LA CONTRIBUTION EST DESTINÉE À LA SECTION ESSAYS OU READINGS.

ENVOYER À L’ADRESSE : krevuecontact@gmail.com

DANS LE CAS OÙ LA PROPOSITION EST ACCEPTÉE, LA REMISE DE LA VERSION DÉFINITIVE DOIT SE FAIRE AVANT LE 30 SEPTEMBRE 2019.

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SPARTACUS – A CENTURY AFTER: THE INFINITE UPRISING

In 73 B.C., Spartacus, a Roman slave condemned to fight in the arena as a gladiator, managed to escape his captors and became the leader of a massive uprising. At the head of a huge rebel army – who were mostly slaves and deserters – Spartacus and his companions showed themselves to be unexpectedly astute military strategists, capable of sophisticated warfare, and managed to make life extremely difficult for many of the Republic’s Legions before they were finally defeated. This story of rebellion has presented more than a few problems for professional historians over the years. Nevertheless, the story of Spartacus merits more than a simple historical analysis (from the various sources, archives and testimonies that describe his exploits). He also embodies a powerful conceptual figure in a Deleuzian sense: de-subjectified, he becomes a name capable of finding its way into a web of relationships, to become a concept that condenses the power of a gesture or a reason for existing. As a result, Spartacus becomes the name of a ghost who illustrates the value of political gesture, who shows that the impossible is actually possible and that, at any moment, it can be repeated. In this sense, his story radiates beyond history, perhaps even suspends it, giving those on the outside the opportunity to access it. Who knows, perhaps this is the reason why, in a letter to Engels, dated 1861, Marx wrote such a flattering appraisal of the rebel: Spartacus is «one of the cleverest men describedin the whole of ancient history. A great general (hardly a Garibaldi), with a noble personality, a truerepresentative of the ancient proletariat».

Under the leadership of Spartacus, the rebels’ ability to organize the rebellion, to resist the constant attack of the Roman troops, and, thanks to their victories, to increase the number of slaves joining their cause, has survived throughout history. Ultimately, this story is probably an example of the importance of memory in politics, in the same way that Walter Benjamin believed that a fundamentally important revolutionary task was to invent a tradition of the oppressed so that their defeat would not be in vain; rather, it should prove the importance of insurgency. These thoughts were probably in the minds of a group of pacifist socialist communists, who established the SpartacistLeague in 1914. A hundred years ago, in 1919, when the horrors of the Great war had finally come to an end, the story of the foreign slave’s rebellion against the excessive power of Rome seemed to emerge once again, embodied in the uprising of the Spartacist League in Berlin (January 1919). The failure of therebellion revealed how democracy had been murdered by democracy, as the newly formed Weimar Republic had omitted to take into account the militarist and authoritarian legacy of the Second Reich. In his On the Concept of History (1940), Benjamin was to clarify this: social democracy is unable to resist fascism because ultimately it shares the same dimensions of time and history. On the contrary, during the Berlin uprising, when even the leaders lost control of the situation, politics makes experience of another temporality; or rather, seems to experience time directly, outside any logic of historical continuity.

The issue of K. dedicated to Spartacus identifies a series of studies that help determine and define the logic, genealogy and topicality of insurgent rebellion, which embodies the spectral power of the political example. Our hypothesis is that this leads to forms of protest such as those of the French Gilets jaunes movement and the insubordination of migrant workers rebelling against their horrificliving and working conditions:

1) The figure of Spartacus merits further historical investigation within the context of Roman history, with a series of questions that can help to identify the precise juridical nature of his radical insubordination in the eyes of Roman law. This would also highlight a series of important questions, such as the comparison between the destitutio and the constitutio, in order to understand how classical analytical categories can also influence the present.

2) The name of Spartacus calls for a reconsideration of the relationship between revolt and the collective violence of rebellious acts. If a rebellious event creates a rupture, or a rejection of existingliving conditions, as well as the power relations that maintain these conditions, then it is impossible to deny the common nature of this rupture, and to revoke even the legitimacy of what it opposes. As the Italian germanist Furio Jesi wrote in his book Spartacus, published posthumously in 2000 (but written around 1968) «when the time comes to rebel we are no longer alone in the city». However,this kind of solidarity does not depend only on collective trajectories of subjectivation, but rather on personal and intimate forms of complicity, capable of uniting any gesture that might call into question the logic of injustice. Here, we are thinking of the recent events concerning the French Gilets jaunes movement and of the questions raised by this type of popular insurgence. After all, the figure of Spartacus might accompany contemporary political action through a dense discursive network, and imaginary and aesthetic constellations (in the wake of Kubrick's Spartacus).

3) Spartacus was a slave, a foreigner rebelling against his destiny by instigating collective rebellion that could, at any moment, turn into social revolt. As a non-man, a zero-cost worker who actively rebelled, he managed to gain access to the truly human condition of politics. Clearly, his political goal was not to gain power, but to overturn the situation completely. Is it possible to see the condition of migrant workers today as a new form of slavery, and one that might possibly give rise to rebellion at any moment, without any kind of representation or mediation? However effective, does the discourse that describes the migrant workers employed as farm labourers in southern Europe as “new slaves” show, from an analytical point of view, any weaknesses? Excepting those cases in which enslavement is verified in the condition of physical detention, the image of these “new slaves”, and the incredible scope that derives from this, tends, probably, to obscure the practices of resistance exercised by agricultural workers in this sector of the work market. This aspect might emerge more, however, if we are willing to consider the “everyday” as a conceptual category, one that can be interpreted as the succession of the processes of routinization that affect subjects at work. From the “everyday” point of view, even the smallest gestures showing a subtraction of power or market logic can take on the features of an unparalleled exceptionalism and become political actions of revolt.

PROPOSAL SUBMISSION BY 15 JUNE 2019 (2,500 MAX. CHARACTERS) SPECIFY IF THE CONTRIBUTION IS FOR THE ESSAYS OR READINGS SECTION.

SEND TO THE ADDRESS: krevuecontact@gmail.com

IF THE PROPOSAL IS ACCEPTED, THE DELIVERY OF THE ELABORATE MUST COME BY SEPTEMBER 30, 2019.