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Appels à contributions

"Reconnaissance" - Revue XXI/XX - Reconnaissances littéraires

Publié le par Université de Lausanne (Source : Fabien Gris)

"Reconnaissance" - Revue XXI/XX - Reconnaissances littéraires

 

Dans le cadre de la création d’une nouvelle revue littéraire intitulée XXI/XX et consacrée à la littérature française des XXe et XXIe siècles, le comité de rédaction lance un appel à contributions pour le premier numéro. Celui-ci sera consacré à élucider le titre qu’elle s’est donné en prenant appui sur son sous-titre : Reconnaissances littéraires. Ce numéro inaugural, « Reconnaissance », a l’ambition de déplier les acceptions d’un mot-notion hérité de la poétique.

Le titre, XXI/XX, veut signifier la volonté de prendre pleinement appui sur le présent, pour embrasser le paysage littéraire du siècle précédent. La littérature du XXe siècle émet vers nous des signes de reconnaissance. Il nous revient de nous en saisir pour nous aider à démêler ce en quoi nous reconnaissons notre donne. Telle est sans doute l’une des ambitions de la revue, décrire l’état présent du souci littéraire, en prenant appui sur la littérature du XXe siècle, qui s’installe insensiblement dans le recul, le quant à soi d’une période révolue, mais dont nous nous sentons encore puissamment solidaires. C’est cette distance interne que nous voudrions explorer, cette étrangeté sournoise qui vient colorer ce qui s’éloigne. Le XXe siècle nous est familier. Il nous constitue. Nous nous y reconnaissons. Mieux que cela, il est sans doute passionnant de faire de ce mouvement sournois d’éloignement un objet d’exploration, une terra incognita à arpenter, vers laquelle envoyer des missions de reconnaissance. Au cours d’une conversation avec Walter Benjamin, Gide cite une phrase du Voyage autour du monde de Bougainville : « Lorsque nous quittâmes l’île, nous lui donnâmes le nom d’Île du Salut. » Il en propose aussitôt un bref commentaire : « Ce n’est qu’en quittant une chose que nous la nommons[1]. » Les paysages du XXe siècle ne sont encore qu’imparfaitement nommés. On peut avoir le sentiment qu’ils ont été cartographiés, parcourus en tous sens par des générations de vingtiémistes, mais nous sommes les premiers à qui ils se donnent avec la netteté paradoxale des choses qui s’éloignent.

Glosant Aristote, Terence Cave définit l’anagnôrisis comme un passage brutal de l’ignorance à la connaissance, qui rend le monde intelligible, résout ce qui se présente initialement comme énigmatique, si bien que les personnages prennent pour la première fois pleinement conscience de ce qu’ils sont[2]. Les dramaturgies de la reconnaissance se saisissent du mystère de l’identité : une cicatrice révèle Ulysse dans le vieil homme qui demande l’hospitalité ; une « spatule » au bras droit fait que Marceline retrouve dans Figaro l’enfant qui lui a été enlevé par les Bohémiens. La reconnaissance, si elle restaure l’identité, en redonnant à un enfant volé ses parents, en l’inscrivant dans une généalogie, peut également servir, à l’inverse, à créer un sentiment d’incertitude, de vertige, d’instabilité du sens, comme un sol qui se dérobe : un procès établit que l’un est Martin Guerre, l’autre un imposteur, qui sera pendu, qui peut-être était le véritable Martin Guerre ; le colonel Chabert revendique son nom et ses biens puis y renonce devant le refus de le reconnaître de sa femme et, plus largement, d’une société restaurée, qui refoule le souvenir des héros napoléoniens. La reconnaissance se situe aux antipodes de la connaissance rationnelle : elle agit subrepticement, comme au hasard, d’une façon énigmatique, à partir de détails triviaux, faisant surgir le sens d’un tour de passe-passe illusionniste ; elle nous apparaît, au même titre que le deux ex machina comme une facilité de composition réservée aux narrations ingénues. La reconnaissance se définit à ce titre comme un scandale mais un scandale qui représente, en miniature, le scandale que constitue la littérature dans son ensemble, dénoncée comme fiction, artifice, faux-semblants, jeu d’ombres et de lumières. Déjouant l’illusion réaliste, la reconnaissance fait rendre au texte le son de la fiction. C’est précisément parce que la littérature est désignée par la reconnaissance comme art et comme artifice qu’un théoricien comme Northrop Frye peut faire de l’anagnôrisis la notion autour de laquelle s’édifie sa théorie de la littérature[3]. Notion centrale, la reconnaissance occupe également une place marginale en ce que, comme le montre Auerbach dans sa lecture de la scène odysséenne de la cicatrice d’Ulysse, elle brise par le scandale qu’elle représente – intrusion brutale de l’artifice – la surface miroitante de la mimésis, de sorte que l’histoire, comme une blessure, est toujours près de se rouvrir.

Mais, à la charnière des XXe et XXIe siècles, c’est aussi l’idée de littérature que nous souhaitons questionner, saisie dans les métamorphoses qui l’affectent ou dans la mobilité de ses usages sociaux ; c’est encore notre conception même de la critique et de l’histoire littéraires, et, plus largement, des études littéraires. « Critiquer, c’est se souvenir », écrivait, il y a un demi-siècle de cela, Georges Poulet. La définition dérive de celle proposée par Proust pour qui tout critique doit nourrir l’ambition de pourvoir le lecteur d’une « mémoire improvisée », autrement dit de réaliser le miracle que le lecteur fasse l’expérience d’une mémoire autre devenue sienne. Ainsi comprise, la critique s’accomplirait en faisant participer le lecteur d’une vaste scène de reconnaissance. Il y a, bien entendu, bien d’autres façons d’envisager la critique littéraire et, par-delà celle-ci, l’idée de littérature, mais c’est l’une de celles que nous a léguées le XXe siècle. Et il nous revient à nous, qui en sommes les enfants, d’en dégager les enjeux.

Axes suggérés :

  • L’anagnôrisis dans les poétiques des littératures des XXe et XXIe siècles. Comment ce procédé clef de la dramaturgie et de la construction fictionnelle a-t-il été réinvesti ? Comment s’inscrit-il dans une dimension métalittéraire qui met en question, en l’actualisant, son caractère artificiel ?
  • La question de l'histoire littéraire du XXe siècle : quel bilan actuellement, et quel héritage pour le XXIe siècle ? Qu'est-ce qu'être un contemporanéiste ? Quelle ambition, pour quelle reconnaissance ?

Les propositions de contribution (20-30 lignes), assorties d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 21 juin 2019 à l’adresse suivante : reconnaissanceslitteraires@yahoo.com. La réponse du comité de rédaction sera délivrée vers la mi-juillet. Les auteurs dont les propositions auront été retenues devront faire parvenir leur texte (35000 signes maximum, espaces comprises) avant le 1er novembre 2019.

 

[1] Walter Benjamin, « Conversation avec André Gide », Die Literarische Welt, 17 février 1928, Sur Proust, trad. R. Kahn, Caen, Nous, 2010, p. 100.

[2] Terence Cave, Recognitions. A Study in Poetics, Oxford, Clarendon Press, 1988, p. 1.

[3] Northrop Frye, L'Ecriture profane, Essai sur la structure du romanesque, traduit de l'anglais par Cornelius Crowley, Strasbourg, Circé, 1998, p. 62. Voir également Northrop Frye, Fables of Identity. Studies in Poetic Mythology, New York-London, Harcourt Brace Jovanovich, 1963.