Actualité
Appels à contributions
Inter-lignes, n° 18 :

Inter-lignes, n° 18 : "Le rire ici et là"

Publié le par Marc Escola (Source : Bernadette REY MIMOSO-RUIZ)

INTER-LIGNES N°18

Dossier : RIRE ICI ET LÀ

PRINTEMPS 2017

 

°Au milieu du XIXe siècle, Musset, au Théâtre français, parlait de Molière : « Cette mâle gaieté, si triste et si profonde/Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer ! » faisant du rire le déguisement de la tristesse, l’épisode qui précède l’effondrement. Certes, la démarche relève du romantisme sombre des dernières années du poète, mais si ces deux vers marquent un désespoir, ils révèlent aussi la proximité du rire et des larmes, l’un tentant de combattre les autres. Le rire se fait ambigu, résistance, lutte pour une forme de survie, pour dépasser un trauma et laisser les forces de vie vaincre celles de la mort. Le rire comme rempart marque une évolution qui dépasse le comique et annonce l’amertume et les désillusions des temps modernes.

Cependant, il souligne aussi un élan vital, et sans doute, ce sursaut a-t-il pu être longtemps condamné par les instances religieuses qui trouvent dans la crainte et l’abattement leur force et leur pouvoir. Ainsi l’évangile de Luc laisse-t-il entendre que le rire n’appartient pas au terrestre pour être réservé à ceux qui auront souffert sur terre : « Heureux, vous qui pleurez maintenant: vous rirez. […] Malheureux, vous qui riez maintenant: vous serez dans le deuil et vous pleurerez. » Si le rire devient l’apanage d’une promesse de paradis, il est de facto impensable en ce monde. En cela le mode religieux se conforme à la conception établie par Aristote, revue par Platon, qui fait du rire l’expression du mépris, et se trouve par-là condamnable. Seuls les médecins approuvent le rire comme facteur de santé et élément libératoire, mais la science a dû longtemps s’effacer sous le poids de la morale doctrinale. Et c’est sans doute pour cela que Rabelais, rappelant l’homo risus d’Aristote, s’inscrit en contrepoint du débat de la chrétienté médiévale en déclarant : « Mieulx est de ris que de larmes escrire, Pour ce que rire est le propre de l'homme ». Le roman d’Umberto Eco Le nom de la rose en est une illustration où la fiction repose sur le livre interdit qui avait l’audace de célébrer le rire.

En Occident, les siècles suivants ont reçu le message humaniste et la France en poursuit le cheminement en nuançant les manifestations du rire depuis la plaisanterie grivoise jusqu’au trait d’esprit, sans oublier l’usage de la dérision. Dans la tradition des bouffons royaux, des épistoliers polémiques, le chansonnier, puis l’humoriste mettent en scène les aléas de la vie, les travers de la société pour les tourner en ridicule, dénoncer les incohérences de la politique, ses dérives et ses erreurs pour en faire une critique d’autant plus vive qu’elle n’est pas affichée comme telle.

En terre d’Islam, l’interdit ne repose pas sur le principe de la terre comme « vallée de larmes », chère à certains chrétiens, mais elle s’appuie sur des hadiths qui condamnent le rire au prétexte qu’il est impossible à concevoir depuis que l’enfer existe ; il serait donc injurieux et, par conséquent, impur. Cependant, de multiples textes rapportant les propos de Joha/Hodja se sont-répandus dans tout l’Orient musulman et au-delà. Ses gestes et ses paroles dans les tableaux figurés suscitent le rire alors qu’il présenté parfois sous les traits d’un homme de religion et que ses histoires délivrent une sagesse.

Lorsque Bergson fait du rire un mouvement incontrôlé «du mécanique plaqué sur du vivant » qui échappe à la raison car provoqué par une situation inopinée, en décalage avec le contexte, il souligne l’oubli de tout affect qui déclenche le rire en dévoilant le ridicule, la personne dont on rit se trouvant réifiée, et perd donc sa proximité avec celui qui rit. Il s’agit là du comique involontaire provoqué par un accident qui déstabilise l’ordre logique, et il en va différemment lorsqu’il est question du comique volontaire, étudié, composé, dans l’intention de déclencher le rire. Pourtant, dans ce cas, la distance par rapport au sujet traité doit être recréée. Il est nécessaire de supprimer l’émotion afin que le ridicule de la situation apparaisse, ce qui revient à effacer le pathétique, le dramatique ou la violence du sujet traité. De facto, une réticence, faite de pudeur ou d’autocensure, délaisse les thèmes trop douloureux ou sensibles. Il en va ainsi du drame de la Shoah dont pourtant certains juifs s’autorisent à montrer la sinistre absurdité jusqu’au rire amer, mais, dans ce cas, il s’agit d’une autodérision qui devient, dès lors, recevable. La question se pose de savoir si on peut rire de tout, mais surtout comment en rire, avec qui et dans quel contexte, selon les dires de Pierre Desproges ("On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui"). Cependant, l’humour relève d’une composante qui instaure une complicité entre celui qui parle et celui qui écoute et ne doit rien au hasard. Si l’humour juif est considéré pour sa pertinence et dépasse les frontières de la judéité, l’humour arabe est souvent méconnu -sauf peut-être en ce qui concerne l’Égypte et sa célèbre nokta bien qu’il procède des mêmes caractéristiques comme le rappelle Mohammed Aïssaoui : « Énormément d’autodérision, un rire très politique –cette manière unique de se moquer de ses propres dirigeants plus ou moins élus, et plutôt moins que plus.  Une bonne dose d’ironie et une poignée de burlesque »

Ce dossier vise à rassembler des approches du rire selon plusieurs cultures afin d’en démontrer, d’une part la nécessité, et d’autre part, les couleurs qu’il peut revêtir et les obstacles qu’il doit parfois surmonter.

Les articles devront être envoyés avant le 15 janvier 2017 et ne dépasseront pas 30 000 signes (notes et bibliographie incluses). Ils seront accompagnés :

  • d’un résumé en français (inférieur à 1500 signes) avec mots-clés (5 maximum),
  • d’un résumé en anglais et en espagnol (chacun de moins de 1500 signes et avec mots-clés)
  • d’une courte notice biographique (250 signes maximum)

Les articles incomplets ne seront pas présentés au comité de lecture.

Les articles sont à adresser par voie électronique :

bernadette.reymr@wanadoo.fr

La revue paraîtra courant avril 2017