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La tyrannie des minorités (Congrès français d'Etudes Culturelles, Nancy)

La tyrannie des minorités (Congrès français d'Etudes Culturelles, Nancy)

Publié le par Marc Escola (Source : Matthieu Freyheit)

La Tyrannie des minorités

1er Congrès français d’Études Culturelles

26-27 septembre 2019

Université de Lorraine - Nancy

 

« Leur différence fera leur force » : l’actuelle affiche française de Darkest Minds : Rébellion (Jennifer Yuh Nelson, 2018) n’est qu’un signe parmi d’autres d’une différence désormais revendiquée comme seule force à agiter, quand tout acquiescement à un pouvoir institutionnel est apparenté quant à lui à un défaut d’individuation, voire de conscience. Si un voyage aux États-Unis permit à Alexis de Tocqueville de théoriser la « tyrannie de la majorité » (De la démocratie en Amérique, 1835-40), semblable voyage le ferait peut-être aujourd’hui s’interroger sur le développement d’une tyrannie des minorités sous l’impulsion d’une discipline anglo-saxonne qui trouva elle-même dans les États-Unis un terreau fertile : les cultural studies.

Si l’on a déjà glosé sur la difficile importation de la discipline (que l’on veut tantôt anti-discipline, trans-discipline, ou in-discipline) sur le territoire français, le paysage universitaire semble se modifier en sa faveur, ainsi qu’en atteste la création de diplômes qui s’en réclament, en Licence comme en Master. C’est, en premier lieu, pour rendre compte de ce phénomène qu’a été envisagée l’organisation d’un Congrès d’Études Culturelles. C’est, en second lieu, pour examiner l’actualité d’un appareil critique toujours fasciné par les questions de domination, d’hégémonie et, par réaction, d’empowerment et d’insoumission. Si, en 1996, Stuart Hall demandait « Who Needs Identity[1] ? », il apparaît que les Cultural Studies en sont le premier bénéficiaire dans le champ théorique : « L’ampleur du débat sur la question de l’identité est tel que les Cultural Studies en viennent à être perçues comme une véritable théorie de l’identité et de la différence[2] ». À la suite d’un Gramsci, penseur du consentement et de l’hégémonie, ou d’un Benjamin théorisant l’Histoire comme un processus d’écriture des vainqueurs au détriment des vaincus, les Études Culturelles fondent leur économie critique sur la prise en compte des « minorités », dont les formes allaient se multiplier autant que les courants qui en assureraient la considération : Gender Studies, Queer Studies, Black Studies, Disability Studies, Fat Studies, ou encore Inuit Studies dont Antonio Dominguez-Leiva et Sébastien Hubier relevaient la cocasserie[3]. La liste est loin, très loin d’être exhaustive, et semble indiquer que dans l’ère du narcissisme que théorise Lipovetsky, chacun n’est pas seulement une histoire à raconter, mais également une théorie à échafauder. Les anciens « stigmates » de Howard Becker sont devenus des « signes d’identité » (David Le Breton) portés comme autant d’éléments indispensables au credo du I am what I am, lui-même pensé comme stratégie de transgression vis-à-vis d’une norme devenue, quant à elle, une forme vide – sinon décrite comme le traditionnel mâle blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans (valide et mince, conviendrait-il d’ajouter) – mais nécessaire à l’expression de notre obsession de l’oppression.

L’extension du domaine des Études Culturelles, qui a fait l’objet de critiques et est apparue comme une des faiblesses de la discipline au même titre que sa tendance au « populisme », dit quelque chose de la façon dont notre contemporanéité se définit par la place accordée à ces diverses minorités : la minorité n’est plus seulement une performance à accomplir pour faire l’objet d’un discours (pour reprendre les mots de Jean-François Lyotard), mais sa revendication semble la désigner comme condition nécessaire à l’exercice d’un pouvoir. Chacun, dès lors, tendrait à s’inscrire dans un discours minoritaire, condition à remplir pour avoir un pouvoir à exercer au détriment d’une majorité prise comme support à la projection d’une domination utile : un maître sur qui régner, dirait Lacan.

Le présent congrès vise, en partie, à interroger les possibles de ce pouvoir : intellectuel lorsque les minorités s’imposent dans le champ critique (atomisation du travail théorique sus-mentionné), financier lorsqu’elles s’imposent dans le champ économique (la « révolte consommée » théorisée par Joseph Heath et Andrew Potter), moral et politique lorsqu’elles s’imposent dans les discours collectifs (les nouvelles règles de la correctness), culturel lorsqu’elles s’imposent dans le champ des représentations (débat sur les quotas dans les productions grand public), etc.

Plus largement, ce congrès propose d’opérer une distanciation vis-à-vis des habitudes et systématismes critiques des Études Culturelles : le discours minoritaire est-il une doxa paradoxale, voire la condition de survivance de l’idée de majorité dans un monde qui l’a prétendument mise à mal ? Le fantasme de la « société contre l’État » (Pierre Clastre) n’a-t-il pas engagé une simplification de l’activité critique résumée par l’idée que « s’opposer, c’est penser » ? C’est que « si le non s’apprend avant le oui, c’est d’abord parce que l’acquisition de la négation est perçue comme un progrès participant à l’évolution humaine. Significativement, elle est le signe d’une capacité réflexive » (Frédérique Toudoire-Surlapierre). Dès lors, comment faire encore partie d’une majorité, et comment ne pas s’opposer en toute légitimité ? Car si le mot de Bartleby (« I would prefer not to ») fascine dès lors qu’il semble bloquer les rouages d’un système majoritaire, sans doute peut-il également servir à formuler un désir de ne pas participer aux mouvements de la machine à opposition.

Le colloque est ouvert à tous les chercheurs qui, s’inscrivant dans le vaste champ des Études Culturelles, souhaitent penser l’état de notre idéologie minoritaire. La période contemporaine sera privilégiée, mais tous les sujets sont à envisager, et toutes les audaces les bienvenues, considérant que nous souhaitons produire ici une recherche aventureuse, amusante et, souvent, contestable : de la recherche, en somme.

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Modalités de soumission : Les propositions, d’une quinzaine de lignes environ et suivies de quelques lignes de présentation de l’auteur, sont à envoyer pour le 01 février 2019 aux trois adresses suivantes : matthieu.freyheit@gmail.com, chelebourg@gmail.com et vapiegay@yahoo.fr

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Organisation : Christian Chelebourg, Matthieu Freyheit, Victor-Arthur Piégay, LIS (E.A. 7305)

Comité scientifique :

Vanessa BESAND (Université de Bourgogne)

Isabelle BOOF-VERMESSE (Université Lille 3)

Christian CHELEBOURG (Université de Lorraine)

Antonio DOMINGUEZ-LEIVA (Université du Québec à Montréal)

Matthieu FREYHEIT (Université de Lorraine)

Sébastien HUBIER (Université de Reims-Champagne-Ardennes)

Victor-Arthur PIEGAY (Université de Lorraine)

Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE (Université de Haute-Alsace)

 

[1] Stuart Hall, « Introduction: Who Needs Identity? », in Stuart Hall, Paul Du Gay (dir.), Questions of Cultural Identity, Londres, Sage, 1996, p. 3.

[2] Maxime Cervulle, Nelly Quemener, Cultural Studies. Théories et méthodes, Malakoff, Armand Colin, 2018 [2015], p. 41.

[3] Antonio Dominguez-Leiva, Sébastien Hubier, http://etudesculturelles.weebly.com/.