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La brièveté (Sfax, Tunisie)

La brièveté (Sfax, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Mustapha Trabelsi)

Université de Sfax (Tunisie)

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Unité de Recherche en Littérature, Discours et Civilisation (URLDC)

 

Colloque international

La brièveté

Les 30 novembre et 1 décembre 2017

 

Dans un bel essai récemment paru, Gérard Dessons, cherchant à cerner la réalité du « bref », le situe dans le champ notionnel de la brièveté tout en le dissociant du « court ». La difficulté est d’abord d’ordre lexical, dans la mesure où il fait remarquer fort pertinemment que court ne possède pas, à la différence de bref, de substantif spécifique, et qualifierait davantage un espace d’écriture quand bref le ferait d’un temps de parole. Dans cette perspective, la notion même de « forme brève » comme norme, se trouve contestée et confrontée d’une part aux genres (maxime, aphorisme, fragment…) qu’elle ne prend plus en compte, d’autre part à sa non-coïncidence avec différentes formes brèves d’énonciation dont la nécessité interne ne serait pas la quantité discursive mais la « justesse ».

Si l’on tente – sans céder au dangereux prestige des origines – de revenir aux sources antiques de la notion, on ne peut qu’être frappé de sa nature problématique : en effet, les premiers exemples d’énoncés « brefs », dans la littérature gnomique, sont ceux des Sages (sophoi), adages, maximes, caractérisés par leur concision : « Rien de trop » en est, en ce sens, un exemple accompli. Or de quoi se nourrit aussi la philosophie ? De la contestation même de tels préceptes au profit d’une réflexion et d’un discours autonomes : les philosophoi – ceux qui pratiquent ou désirent la sagesse – se confrontent à l’autorité de ces formes de vérités transcendantes (et Barthes et Quignard au XX° siècle formuleront une gêne, technique, éthique, esthétique et politique, à leur égard). Le philosophe italien Giorgio Colli discerne précisément un fond de violence (énigme, oracle, etc.) inhérent aux sources de la pensée grecque ; dans cette perspective, les dialogues de type socratique situent la brièveté dans des enjeux agonistiques : à Socrate cherchant à imposer le discours « bref » (brachylogie), Protagoras pose la question, comme M. Dessons le fait observer, de la juste mesure de cette brièveté et de ses critères véritables, qui ne peuvent être des normes de longueur définies de manière externe. D’ailleurs les deux adversaires ne cessent, sans jamais pouvoir conclure victorieusement, d’alterner, selon les besoins, la dialectique et la rhétorique, brachylogie et macrologie.

Les théoriciens latins, comme Cicéron et Quintilien, semblent bien distinguer deux champs principaux d’application de la brièveté : stylistiquement elle serait à inclure dans les effets de figures comme l’ellipse et de l’asyndète, et rhétoriquement, conjointe à la clarté, à l’absence de répétitions inutiles, elle impliquerait une justesse, une suffisance de la narration. De ce fait, la brièveté ne relève exactement ni du court ni du long, dont les excès respectifs produisent une obscurité que la littérature est, de son côté, en droit de revendiquer.

On comprendra donc que cette notion de brièveté, à l’origine problématisée dans les champs philosophique et rhétorique, ne puisse être transférée sans certaines précautions méthodologiques dans les domaines d’analyse littéraire, textuelle et discursive : un énoncé bref, difficilement dissociable de son procès d’énonciation, ne peut être perçu sans considérations de son genre (ni même de sa contestation des genres), sans appréhension non plus de sa nécessité phénoménologique d’apparaître comme tel, forme sans forme délimitée à l’origine… De plus, il semble difficile d’éluder, quels que soient la pertinence des outils utilisés (poétiques, poïétiques, pragmatiques, etc.), quelques évidences paradoxales, sinon aporiques, concernant certains types d’énoncés :

·      comment penser le dynamisme de formes d’expression dont la brièveté apparaît dans ce que les latins nommaient « rotunditas », rondeur suffisante, alors que la coupure suppose une arête tranchante ?

·      comment, si l’on élargit la réflexion à ce que l’on définit (selon des acceptions souvent fort diverses et problématiques) comme fragments, accepter que s’y achève l’inachevé, en un processus qui ne peut être que continu si la discontinuité doit s’y montrer ?

Toutefois, la brièveté échappe aux limites temporelles. Depuis Aristote et Platon jusqu’aux écrivains du XXI e siècle, on la pratique à travers de multitudes  genres : narratif (le conte, la nouvelle, l’anecdote), poétique (le sonnet, la ballade) ou à travers diverses formes d’écriture (l’épigramme, l’aphorisme, la note, la chronique, l’énigme, etc.) Une telle diversité rend difficile les tentatives de définir le bref quand on se réfère à un critère uniquement quantitatif (le nombre de pages) ou temporel (la durée de la lecture) ou formel (l’unité d’effet). Ces critères ne permettent pas de caractériser  finement cette notion, ni de saisir sa complexité, car « on ne peut pas enfermer la brièveté ni dans un genre ni dans une forme. » (Simone Messina, La Forme brève, Honoré Champion Editeur et Edizioni Cadmo, 1994, p. 8). Pierre Tibi confirme cette hypothèse en évoquant l’exemple de la nouvelle : « Ce genre protéen n’est pas plus tôt figé par la critique dans la stabilité du type qu’on le surprend à générer perverversement son contre-type. » (Aspects de la nouvelles, Cahiers de l’Université de Perpignan, N° 18, 1995, p. 8).  Toutefois, si aucune caractéristique ne peut rendre compte de l’infinie variété des textes brefs,  on peut en revanche définir la brièveté comme un effet de style, comme le résultat de la mise en forme de certaines techniques d’écriture fondées sur la condensation, l’ellipse, la suggestion ainsi que sur l’importance donnée à la clausule, à la restriction spatiale, temporelle, thématique et diégétique. Elle également « imposée du dehors » (Bruno Monfort, « La nouvelle et son mode de publication : le cas américain», Poétique, N° 90, avril 1992, p. 157) déterminée par un mode d’énonciation. et une pratique d’édition et de publication (revue, magazine, journal etc.). La brièveté est enfin un mode d’expression qui répond à des besoins discursifs et énonciatifs ; elle est « caractérisée par la mise à distance, la discontinuité, la rupture pouvant aller, chez nos contemporains, jusqu’à la provocation et à la révolte. » (Simone Messina, La Forme brève, ibid.).

L’ambition de ce colloque est de faire le point sur cette question de la brièveté et d’approfondir la réflexion sur la stylistique et la poétique de la brièveté. A quoi répond le besoin d’écrire des œuvres brèves ? Est-ce un rejet des textes longs ? Un refus de certains genres littéraires jugés hégémoniques ou un rejet de l’ordre établi au niveau esthétique et au niveau de la doxa ?  Si « la forme brève hante un certain nombre de textes longs » (Alain Montandon, Les Formes brèves, Hachette Supérieur, 1992, p.6-5), peut-on considérer ces textes brefs comme des espaces d’apprentissage et d’expérimentation des techniques d’écriture, une sorte de laboratoire des œuvres dramaturgiques, poétique et romanesques à venir ? Ces fragments brefs (contes, chroniques, nouvelles) ne sont-ils pas, chez Guy de Maupassant, Emile Zola ou Albert Camus, des germes et des préludes de romans ? 

Une telle réflexion suscite donc plusieurs questions d’ordre stylistique, rhétorique,  mais également esthétique et éthique. Elle pourrait porter sur les axes suivants :

- La brièveté et les genres littéraires.

-          Diversité des pratiques littéraires de la brièveté.

-          La brièveté et le figural.

-          La brièveté et les théories de l'écriture.

-          Les rapports relatifs textes dits "brefs" (conte, nouvelle, chronique, etc.) et les textes considérés comme longs (roman, pièce de théâtre, etc.).

-          La brièveté et les diverses formes de réception et de lecture.

-          La brièveté et les modes de publication d’aujourd’hui (la presse, l’Internet).

-          La brièveté et la réécriture.

-          La brièveté et la digression.

-          La brièveté et l’écriture lapidaire.

-          La brièveté et la polyphonie.

 

Quelques repères bibliographiques :

Dessons Gérard, La voix juste, essai sur le bref, éditions Manucius, 2015.

Roukhmovsky Bernard, Lire les formes brèves, Nathan, 2001.

Tourrette Eric, Les formes brèves de la description morale. Quatrain, maximes, remarques, Honoré Champion, 2008.

Montandon Alain, Les Formes brèves, Hachette, 1993.

Leplâtre Olivier, La Forme brève, Gallimard, 2005.

Grall Catherine, Le Sens de la brièveté, Honoré Champion, 2003.

Baron Philippe et Mantero A. (études réunies par) Bagatelles pour l'éternité, l'art du bref en littérature, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000.

Formes brèves, De la gnômè à la pointe: métamorphoses de la sententia, La Licorne, Université de Poitiers, 1979.

Brièveté et écriture, La Licorne, Université de Poitiers, 1991.

Foyard Jean, La Forme brève, Presses Universitaires de Dijon, 2002.

Fragments et formes brèves, (études réunies par Benito Pelegrin), Publication de l'Université de Provence Aix-Marseille 1, 1990.

Les Formes brèves de la prose et le discours discontinu (XVIe-XVIIe siècle), Actes du colloque de Tours (1981à, dir. J Lafond, Vrin, 1984.

 

Comité scientifique : Jamil Chaker, Gérard Dessons, Kamel Gaha, Pierre Garrigues, Laurent Jenny, Alain Montandon, Bernard Roukhmovsky, Mustapha Trabelsi.

Comité d’organisation : Mariem Ahmed, Raoudha Allouche, Arselène Ben Farhat, Sameh Ben Lakhal, Leila Euchi, Mouna Sassi,

Les titres et résumés des communications, d’environ une demi-page, accompagnés d’une notice biographique sont à envoyer uniquement par voie électronique  avant le  30 mars 2017 à :

pierregarrigues@yahoo.fr

mutrabelsi@gmail.com

 

Calendrier :

 

30  mars 2017 : réception des propositions de communication
30 Avril  2017 : notification aux auteurs
Les 1 novembre et 2 décembre 2017 : Colloque international

juin 2018 : publication

 

Responsables : Pierre Garrigues  et Mustapha Trabelsi