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L’art de remonter le temps. L’Histoire et le mouvement des images (ENS Lyon)

L’art de remonter le temps. L’Histoire et le mouvement des images (ENS Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Olivier Cheval)

ENS de Lyon - Département des Lettres et des Arts

CERCC (Centre d'Etudes et de Recherches comparées sur la Création - EA 1633)

Journée d'études le 5 avril 2017

 

Les débuts du cinéma comme art sont contemporains de pensées qui font du temps historique l’objet d’un montage non linéaire de survivances et de césures. Avec Walter Benjamin et Aby Warburg, le présent se creuse du passé qu’il peut présentifier et de l’avenir qui le contemple, dans une temporalité qui se charge d’imminences et d’ajournements, de promesses et de répétitions. Au même moment, en Russie, là où les lendemains du grand soir ne donnent pas encore à penser l’imminence du désastre, Sergueï M. Eisenstein et Dziga Vertov confient au cinéma, chacun à leur manière, la double tâche de participer à l’histoire révolutionnaire en cours et de placer les arts sous le signe du montage.

À l’aune de cette configuration de la pensée européenne de l’entre-deux-guerres, sans obligation toutefois de s’y référer explicitement, cette journée d’études interdisciplinaire propose d’envisager l’art à l’époque du cinéma comme puissance de remonter le temps historique. Comment des œuvres se détachent-elles de la fiction consensuelle d’une linéarité du progrès ou d’une causalité sans répit de l’histoire, pour inventer des connexions nouvelles, pour imaginer des possibilités de rupture ou mettre au jour des survivances impensées ? Comment ouvrent-elles le temps au pessimisme d’une tragédie de la culture, au messianisme d’une venue déjà passée, imminente ou à jamais différée ou à l’utopie d’une césure radicale ? Au fond, peut-on penser l’art et l’histoire en miroir, comme deux types de montages du temps ? Comment imaginer alors le rôle des œuvres contemporaines face au recul de l’histoire (Hartog, 2002) ?

Cet appel s’adresse à des chercheurs en études cinématographique, en histoire de l’art, en philosophie, en esthétique, en histoire ou en littérature qui entendent interroger la manière dont des œuvres peuvent réfléchir, éprouver et interroger notre conscience de l’histoire en préférant aux récits strictement chronologiques les motifs de l’anachronisme, de la rupture, de la promesse, de la répétition, du surgissement, de l’inversion ou de la doublure par une pratique, filmique ou non, du montage des images.

Cette journée d’études s’inscrit dans le décloisonnement actuel des études cinématographiques au contact de l’histoire de l’art et de la théorie des médias. Plus précisément, elle entend faire dialoguer deux grandes tendances contemporaines de l’esthétique du film en Europe. D’un côté, le retour insistant du montage comme catégorie centrale pour penser le cinéma, du côté d’une énergétique du plan (Faucon, 2013), d’une poétique du remploi (Blümlinger, 2013), d’une politique de la dislocation (Deville, 2014) ou d’une esthétique de l’intervalle (Aumont, 2015). De l’autre, l’usage de plus en plus fréquent par les esthéticiens du cinéma des concepts de l’histoire de l’art, notamment de l’iconologie warburghienne (Vancheri, 2013 ; Cheval, 2013 ; Durafour, 2016). Cette journée vient ainsi prolonger quelques tentatives récentes de penser les images en mouvement et le mouvement des images, sans se limiter au seul cinéma, à partir de l’Atlas d’Aby Warburg (Michaud, 1988 ; Sierek, 2009, Didi-Huberman, 2010).

Les propositions peuvent se situer dans ces différents axes :

  • L’étude de films dont le montage ouvre une réflexion sur la non linéarité du temps historique 
  • L’études de formes filmiques spécifiques : found footage, essais filmés, etc. ou de figures filmiques spécifiques : inversions temporelles, ralentis et accélérés, répétitions d’images, etc.
  • L’étude de formes visuelles non filmiques ayant recours à une pratique du montage (atlas, série d’images, tableau, photographie ou toute image fixe dont la composition est marquée par son hétérogénéité, installations multimédia…) et pour lesquelles « remonter le temps » peut s’entendre comme effet esthétique ou plus littéralement comme (science-)fiction
  • L’étude de textes de Warburg, de Benjamin, d’Eisenstein, de Vertov, de Kracauer ou de tout théoricien invitant à penser l’art comme remontage anachronique, révolutionnaire ou messianique de l'histoire.

 

Les propositions (environ 3000 caractères) accompagnées d'une notice bio-bibliographique sont à envoyer avant le 10 février à olivier.cheval@ens-lyon.fr.

 

Bibliographie indicative :

 

AGAMBEN Giorgio, Enfance et Histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire, trad. Yves Hersant, Paris, Payot, 1989

AGAMBEN Giorgio, Image et mémoire, trad. Gilles A. Tiberghien, Paris, Éditions Hoebeke, 1998

AMIEL Vincent, Esthétique du montage, Paris, Armand Colin, 2005

AUMONT Jacques, Le montage, « la seule invention du cinéma », Paris, Vrin, 2015

BENJAMIN Walter, Sur le concept d’histoire, trad. Olivier Mannoni, Paris, Payot & Rivages, 2013

BENJAMIN Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, trad. Lionel Duvoy, Paris, Allia, 2011

BOUCHERON Patrick, L’entretemps : conversations sur l’histoire, Verdier, 2012

BLÜMLINGER Christa, Cinéma de seconde main. Esthétique du remploi dans l’art du film et des nouveaux média, Paris, Klincksieck, 2013

BREDEKAMP Horst, WEDEPOHL Claudia, Warburg, Cassirer und Einstein im Gespräch : Kepler als Schlüssel der Moderne. Berlin: Wagenbach, 2015

CHEVAL Olivier, « « Toucher la plaie. Tactilité de la visualité chrétienne de L’incrédulité de Saint Thomas du Caravage à Mourir comme un homme de João Pedro Rodrigues », Entrelacs [Online] n° 10, été 2013

DEVILLE Vincent, Les formes de montage dans le cinéma d'avant-garde, Presses Universitaires de Rennes, 2014

DIDI-HUBERMAN Georges, Devant le temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 2000

DIDI-HUBERMAN Georges, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes, Paris, Éditions de Minuit, 2002

DIDI-HUBERMAN Georges, Remontages du temps subi. L’œil de l’histoire, 2, Paris, Les Éditions de Minuit, 2010

DURAFOUR Jean-Michel, « Danaé Savonnée. L’‘iconographie filmante’ ou vers une histoire alternative de la peinture au regard du cinéma », Revue Débordements, décembre 2016

EISENSTEIN Sergueï, Cinématisme. Peinture et cinéma, trad. Valérie Posener, Elena Rolland, Anne Zouboff, Danièle Huillet et François Albera, Dijon, Les Presses du réel, 2009

EISENSTEIN Sergueï, Notes pour une histoire générale du cinéma, trad. Catherine Perrel, édition François Albera, Naoum Kleiman et Antonio Somaini, Paris, AFRHC, 2014

FAUCON Térésa, Théorie du montage. Énergie, forces et fluides, Paris, Armand Colin, 2013

GINZBURG Carlo, Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, trad. Monique Aymard, Christian Paoloni, Elsa Bonan et Martine Sancini-Vignette revue par Martin Rueff, Paris, Flammarion, 1989

HARTOG François, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2002

KANY Roland, Mnemosyne als Programm. Geschichte, Erinnerung und die Andacht zum Unbedeutenden im Werk von Usener, Warburg und Benjamin, Tübingen, Niemeyer, 1987

KRACAUER Siegfried, De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, trad. Claude B. Levenson, Paris, L’Âge d’homme, 1973

KRACAUER Siegfried, L’Histoire – Des avant-dernières choses, trad. Claude Orsoni, Paris, Stock, 2006

MICHAUD Philippe-Alain, Aby Warburg et l’image en mouvement, Paris, Macula, 1998

MOSES Stéphane, L’Ange de l’histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, Folio, 2006

ODIN Paul-Emmanuel, L’inversion temporelle au cinéma : tête à queue de l’univers, Marseille, Al Dante, 2014

PROUST Françoise, L’histoire à contretemps. Le temps historique chez Walter Benjamin, Paris, Les Éditions du Cerf, 1994

RANCIÈRE Jacques, Béla Tarr. Le temps d’après, Nantes, Capricci, 2011

ROCHLITZ Rainer et RUSCH Pierre (dir.), Walter Benjamin. Critique philosophique de l’art, Paris, PUF, 2005

SIEREK Karl, Images oiseaux. Aby Warburg et la théorie des médias, trad. Pierre Rusch, Paris, Klincksieck, 2009

STIEGLER Bernt, Der montierte Mensch: Eine Figur der Moderne, Paderborn, Wilhelm Fink, 2016

VANCHERI Luc, Psycho. Une leçon d’iconologie par Alfred Hitchcock, Paris, Vrin, 2015

VERTOV Dziga, Articles, journaux, projets, trad. Sylviane Mossé et Andrée Robel, Paris, Union générale d'éditions, 1972

WARBURG Aby, Essais florentins, trad. Sybille Muller, Paris, Klincksieck, 1990

WARBURG Aby, Atlas Mnémosyne, trad. Sacha Zilberfarb, Paris, L’Écarquillé-INHA, 2012