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Journée d'étude interdisciplinaire : 

Journée d'étude interdisciplinaire : "Espace(s) & Conflit(s)" (Bordeaux Montaigne)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Edgar Henssien)

Espace(s) & Conflit(s)

Journée d’étude interdisciplinaire, organisée par les doctorants de l’équipe TELEM

Mercredi 17 octobre 2018

 

PRESENTATION

« Évidemment, il ne viendrait à l’idée de personne d’enfermer les professeurs en prison pour leur apprendre ce que c’est que l’espace » Georges Bataille

Entre l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport et l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, un collectif formé d’architectes, de géographes, de philosophes, cosigne une tribune sur Médiapart[1] et y défend « d’autres manières d’habiter ». Pour ces professionnels et ces chercheurs de différentes disciplines, la valeur de l’espace que l’on appelle désormais « zone à défendre » va au-delà de l’aspect foncier : ce que représente la ZAD est nécessaire pour penser de nouvelles formes, pour expérimenter ce qui peut faire, ailleurs que dans les métropoles, un territoire en commun que l’on occupe, que l’on bâtit, que l’on habite et surtout que l’on pense.

L’actualité de ce conflit pour l’espace ne fait que révéler combien le sujet est politique. Ce type de lutte où l’espace devient central est contemporain d’approches géocentrées dans les sciences humaines et sociales, depuis le spatial turn des années 1990, qui présupposent que l’espace est impliqué dans toute construction du savoir.

Ainsi, les chercheurs et les chercheuses ont commencé à questionner l’espace dans la vie et les productions artistiques des humains de la même façon qu’ils et elles avaient traditionnellement questionné l’histoire ou les rapports sociaux[2]. Au sein des études littéraires, par exemple, une démarche comme celle de la géocritique voit le jour, intéressante en ce qu’elle revendique une étude dynamique du texte, qui fait la part belle à l’intersubjectivité et à la relation des sujets aux lieux.

Mais c’est à partir de la question du conflit que nous aimerions appréhender les espaces, du moment où le heurt brouille des frontières, fait s’affronter (pour) des lieux, ou redistribue une répartition originelle. C’est dans les moments conflictuels que cette dimension nous paraît la plus intéressante. En outre, nombre d’approches géocentrées en sciences humaines et sociales se proposent d'aborder les questions croisées de l’espace et du conflit de façon interdisciplinaire, pour que l'étude soit  féconde.

C’est pourquoi nous aimerions organiser la journée d’étude du 17 octobre 2018 à la M.S.H.A. en l’ouvrant à des doctorantes et doctorants de toutes les disciplines, qu’elles ou ils viennent des sciences humaines et sociales ou d’autres champs disciplinaires. Ainsi, nous ne souhaitons pas opposer espaces de fictions d’une part, et territoires géographiques concrets et cartographiés d’autre part. Ce que des approches comme la géocritique nous apprennent, c’est bien que « les espaces humains ne deviennent pas imaginaires en intégrant la littérature ; c’est la littérature qui leur octroie une dimension imaginaire, ou mieux : qui traduit leur dimension imaginaire intrinsèque […] »[3].

Cette rencontre sera l’occasion de faire varier les échelles spatiales : les territoires géographiques des espaces internationaux, nationaux ; les territoires moins vastes de la ville, de la ruralité, des rapports entre centres et périphéries ; ou les espaces plus quotidiens de la place publique, du lieu de travail ou de loisir, les espaces intimes et domestiques.

Nous voulons par ailleurs être attentifs aux différentes acceptions du terme espace, soit qu’on l’envisage de façon concrète (territoire géographique, espace de la page ou de la toile peinte comme surface de jeu (typo)graphique, scène théâtrale, etc.), soit qu’il soit diégétique (au cinéma, dans le récit romanesque, etc.), ou encore abstrait (espace intérieur, conceptuel, etc.). De même, des conflits de type politique, esthétique, éthique pourront être envisagés.

 

AXES DE RECHERCHE

Nous proposons ci-après, pour guider les interventions, quelques axes à titre indicatif, auxquels on peut bien sûr imaginer des variantes et/ou des ajouts.

Espaces du conflit : champs de bataille

Ce premier axe nous permettra d’envisager l’espace en tant que zone de combat, terrain d’entraînement, champ de bataille. Dans cette perspective, l’espace apparaît comme traversé concrètement, présentement par un conflit aux modalités diverses – insurrections, guerres, luttes, affrontements, combats, agressions, etc. – qui en modifie la nature[4]. Toutes ces modalités du conflit ont ici la caractéristique de se présenter comme des séries variables d’actions concrètes. Il s’agit donc de s’interroger sur le rapport qu’entretiennent ces actions avec la matière et le temps : comment ces actions se manifestent-elles, quelles sont leurs spécificités ?

Quelles transformations, réorganisations, destructions le conflit génère-t-il dans l’espace qu’il traverse au moment où il le traverse ? On s’intéressera également à cet autre espace concret, celui de l’œuvre et de son support (qu’il s’agisse de l’espace de la page, de la scène, de la toile, de l’écran, etc.) et aux différents conflits qui le traversent (éclatement typographique, transgression des frontières de l’espace scénique, etc.).

 

Espaces produits par le conflit : construire, aménager

Au-delà des espaces qui se trouvent au cœur des dynamiques conflictuelles, il est possible d’envisager les différents espaces comme des produits du conflit, entendu en un sens plus général, même s’ils ne sont pas directement les lieux de l’affrontement. Ainsi, c’est la « production de l’espace »[5] qui peut devenir, dans des contextes spécifiques, objet d’étude. Les luttes, oppositions, antagonismes qui traversent la vie sociale participent de ces activités humaines qui « sécrètent »[6] des espaces divers, propres à chaque corps social, à chaque situation historique.

Les effets de pouvoir notamment, ne se manifestent pas seulement dans les violences exercées, visibles – physiques ou matérielles – ils se déploient aussi « selon tout un jeu d'espaces, de lignes, d'écrans, [...] et sans recours, en principe au moins, à l'excès [et] à la force »[7]. L’institution carcérale, les lieux de travail, de loisir, d’approvisionnement, les voies de circulation ou de communication : tous ces espaces peuvent être envisagés à partir des conflits qui les ont fait naître. Les antagonismes sociaux en particulier, déterminent pour une grande part la distribution des espaces ainsi que, à l’intérieur de ceux-ci, la circulation des corps, des regards, des discours.

Produire de tels espaces disciplinés, c’est non seulement construire ou aménager des lieux circonscrits, leur attribuer une fonction, voire des règles de fonctionnement – mais c’est aussi en forger les concepts, en élaborer les représentations imaginaires, en établir les plans[8]. Si de tels objets se donnent d’abord à l’attention des géographes, sociologues et philosophes, ils pourront aussi être appréhendés par d’autres disciplines, notamment artistiques[9].

 

S'approprier l'espace : lieux de résistance

Conjointement à ces typologies croisées, il serait fécond de nous intéresser aux différentes manières de concevoir l’espace en marge du conflit, et de se l'approprier. Conceptions qui, parfois, peuvent être paradoxales, traversées de contradictions : le no man's land, par exemple, peut être ainsi considéré comme un espace en marge du conflit, mais moins du fait de sa résolution que par l'aménagement d'un espace spécifique où, encore présent et structurant – exacerbé, même –  il ne se manifeste plus.

On pourra s’intéresser à l’étude de tels lieux (qui, pour une part, correspondent aux « hétérotopies »[10] de Foucault ou aux « non-lieux » de Marc Augé) mais aussi aux tentatives visant à la réappropriation de l’espace par les sujets individuels ou collectifs (figure du « flâneur » baudelairien, expérience de la « dérive » faite par les situationnistes). Dans cette perspective, les conceptions de plus en plus répandues d'un « retour à la terre » ou « au réel », prônées par des penseurs et des poètes contemporains[11], conceptions « écologique »[12] en quelque sorte (où il faut entendre l'oikos de la maison grecque), peuvent apparaître comme des formes de résistance.

Ramenées à une échelle non plus locale mais globale, ces conceptions entendent mettre en relation différents lieux dans un processus qui sort de ses connotations conflictuelles l'opposition identique/différent[13], sans pour autant tomber dans le travers de l'universalisme homogénéisant : en ce sens, le « cosmopolitisme » s'opposerait à l'« exotisme », pour lequel la frontière demeure étanche.

 

Après le conflit : ruines et traces

Dans la perspective de cet axe, notre réflexion pourra envisager l’histoire, en tant qu’elle est constituée de conflits empilés les uns sur les autres en couches successives (à la manière des couches géologiques que l'archéologue[14] fouille et révèle, peu à peu, dans sa recherche de l'ossement ou de l'artefact enfoui), et tendra à faire émerger un espace sédimenté du conflit.

Le tissu urbain, lui aussi, garde en mémoire (même si, parfois, comme le regrette Baudelaire, « la forme d'une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel »[15]), du fait de la cohabitation de monuments et d'édifices d'époques différentes, les périodes historiques et les conflits passés.

On pourra, dans cette même perspective, s'interroger sur les esthétiques du fragment, polymorphes, fondées sur la brièveté, l'éclat et, régulièrement, sur l'authenticité. Ces esthétiques peuvent se polariser négativement : c'est le motif de la ruine, qui indique mieux la perte, la destruction de ce qui fut, que ce qui en demeure ; un tel motif pourra constituer un objet d’étude à part entière.

 

INFORMATIONS

- La journée d'étude se tiendra à la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine (MSHA) le 17 octobre 2018.

- Les propositions de contributions (2000 signes + notice bio-bibliographique) sont à envoyer à l'adresse mail indiquée ci-dessous avant le 31 juillet.

- Comité d'organisation : Gorka Bourdet, Margot Buvat, Edgar Henssien, Thomas Meynier (Université Bordeaux Montaigne, TELEM).

- Contact : thomas.meynier@u-bordeaux-montaigne.fr

 

NOTES

[1] « Comme à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, défendons d'autres manières d'habiter ». Le Blog des Invités de  Médiapart, 6 avril 2018 [En ligne : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060418/comme-la-zad-de-notre-dame-des-landes-defendons-dautres-manieres-d-habiter]. Consulté le 19 mai 2018.

[2] Voir le géographe Edward Soja, évoqué par Antje Ziethen dans « La Littérature et l’espace ». Arborescences, n°3, juillet 2013 [En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/arbo/2013-n3-arbo0733/1017363ar/]. Consulté le 19 mai 2018.

[3] Westphal, Bertrand. « Pour une approche géocritique des textes ». Vox Poetica (SFLGC), 30 septembre 2005 [En ligne : http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gcr.html]. Consulté le 19 mai 2018.

[4] Un exemple de ce premier type de relation peut être emprunté au livre d’Eyal Weizman, À travers les murs (La Fabrique, 2008). Dans cet ouvrage, l’auteur décrit la méthode utilisée par l’armée israélienne contre les opposants palestiniens à Naplouse en avril 2002. Au lieu de progresser dans les rues et ainsi de s’exposer aux tirs de l’ennemi, les soldats israéliens se déplacent à l’intérieur des maisons en détruisant murs et planchers, s’appropriant l’espace privé des habitations pour servir un but stratégique. De tels procédés, concrètement mis en œuvre, ont notamment été pensés à partir des concepts d' « espace lisse » et d' « espace strié » proposés par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille plateaux (Minuit, 1980).

[5] Au sens par exemple où Henri Lefebvre a défini la notion. La Production de l’espace (1974). Anthropos, 2000.

[6] Ibid., p. 48.

[7] Foucault, Michel. Surveiller et punir. Gallimard, 1975, p. 208.

[8] Pourront ainsi être abordées toutes les configurations spatiales impliquées, à différentes échelles, dans un déploiement stratégique : espaces de production, de consommation, d’enseignement, de stockage, etc. De même, on pourra être particulièrement attentif à toutes les opérations qui rendent possibles de tels espaces : cartographier, niveler, délimiter, cloisonner et relier, masquer et laisser voir, conditionner l’accès, enfermer et évacuer.

[9] Philippe Hamon a par exemple montré comment la figure de l’Exposition, qui implique une « prééminence du regard » et un « espace [...] aménagé lisiblement pour un parcours plus ou moins contraignant » modèle à la fois les productions architecturales du XIXe siècle et certains procédés rhétoriques qui leurs sont contemporains (la description réaliste notamment). Hamon, Philippe. Expositions. Littérature et architecture au XIXe siècle. José Corti, 1989, p 15.

[10] Le terme d'« hétérotopie » (littéralement « lieu autre »), fut introduit par Foucault lors d'une conférence donnée en 1967 au Cercle d'études architecturales ; il désigne un espace concret porteur d'un espace fantasmé. « Des espaces autres » (1984). Dits et écrits II. 1976-1988. Gallimard, 2001, p. 1571-1581.

[11] On pourra par exemple se référer à l'« anthologie-manifeste » Habiter poétiquement le monde où, à côté d'extraits de poètes et de philosophes sont aussi présents un astrophysicien, un sociologue, un biologiste… (Poesis, 2016).

[12] Un essai de Michel Deguy (Hermann, 2012) porte ce titre ; on trouve encore cette phrase, dans le récent Poèmes et Tombeau pour Yves Bonnefoy (La Robe noire, 2012) : « Reterrestration contre déterrestration et extraterrestration : écologie. » La question, pour lui comme pour d'autres (Jaccottet, Bonnefoy...), est celle de l'« habitat », présenté comme une continuité, une relation entre l'espace intérieur et l'environnement extérieur ; en d'autres termes, le « lieu » ainsi conçu est un espace investi par la subjectivité, avec lequel elle communique et qu'elle annexe à son propre espace symbolique.

[13] Opposition dont Françoise Héritier, qui situe son origine dans le constat de la différence sexuée, dit qu'elle est « un de ces themata archaïques que l'on retrouve dans toute pensée scientifique, ancienne comme moderne, et dans tous les systèmes de représentation », Masculin/Féminin I (1996), Odile Jacob, 2012, p. 20.

[14] On se souvient que Foucault, suivant Nietzsche, entendait transformer la méthodologie de l'histoire : la connaissance reconnue un tissu de « discontinuités » résultant d'un ensemble de luttes de pouvoir et de systèmes de domination, il se fait partisan d'une histoire « généalogique » dans ses fins, « archéologique » dans ses moyens, attentive à démêler cet enchevêtrement de causes et d'effets qui, pour une part, détermine les individus.

[15] Baudelaire, Charles. « Le Cygne ». Les Fleurs du mal (1857). Gallimard, 1996, p. 125.

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