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Appels à contributions
Interpréter la pop culture, entre herméneutique et déconstruction

Interpréter la pop culture, entre herméneutique et déconstruction

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sébastien Hubier)

Interpréter la pop culture, entre herméneutique et déconstruction

17 mars 2017

Université de Mulhouse

Appel à contribution

Nous vivons désormais à l'ère des post-. Post-moderne, post-colonialiste, post-structuraliste, post-féministe, post-marxiste, post-déconstructionniste, post-apocalyptique, post-nuke, post-humaniste et même post-porno, pour reprendre le terme introduit par Maria Llopis et Paul B. Preciado, notre âge est aussi indéniablement post-littéraire. De ce point de vue, on le comprend aisément, les notions et concepts des études littéraires traditionnelles – historiques ou rhétoriques – ne sont plus guère pertinents ni efficients pour aborder les fictions d'aujourd'hui. Certes, différents tournants épistémologiques ont déjà eu lieu qui visaient précisément à adapter les outils théoriques et critiques aux scénarios post-modernes : le linguistic turn, dans les années 1950-1960, puis, dans les années 1980-1990, le « lectoral turn » pour reprendre les mots de Klass Huizinga (Homo Legens). Celui-ci recouvre quantité de courants, de la « lecture littéraire », lancée par Michel Picard, en passant par la « Reader-Response Theory » inaugurée par Norman Holland et poursuivie dans des perspectives très différentes, à Cornell, à Durham, à Yale et au King's College, par Jonathan Culler, Patricia Waugh, Stanley Fish ou Hector Kollias. Enfin, le cultural turn, que Lynette Spillman et Mark D. Jacobs décrivent avec raison comme « one of the most influential trends in the humanities and social sciences in the last generation », a fourni une série de nouveaux modèles analytiques capables d'analyser et d'interpréter le monde dans lequel nous vivons. C'est à ces modèles, associant interprétation et déconstruction des représentations, que nous nous intéresserons dans le cadre de l'analyse de la pop culture contemporaine.

Car au règne d'une culture élitaire héritée des Belles-Lettres, qui s'est peu à peu effondrée sur elle-même avec tous les autres grands récits (metanarratives), s'est substituée la prédominance d'une culture de masse, réflexive, changeante, hybride, pleinement adaptée au fonctionnement de notre monde globalisé dont on oublie trop souvent qu'avant d'être une affaire de finances il est un phénomène culturel étroitement dépendant des progrès techniques intervenus dans les transports et les communications. Certes, la littérature n'a pas disparu (le succès de genres comme le néo-gothique ou le post-polar l'indique clairement), mais, d'une part, elle n'occupe plus, institutionnellement, la place qui lui revenait il y a un demi-siècle de cela, et, d'autre part, elle n'est plus, loin s'en faut !, le médium principal par lequel se joue l'expérience de la fiction. Cette expérience ludique de la réalité passe désormais bien davantage par le cinéma, la bande dessinée, la télévision, les produits de la cyberculture ou les scénarios vidéo-ludiques.

C'est justement à tous ces genres que l'on s'attachera lors de cette journée d'études notamment en considérant l'importance et le fonctionnement des rapports transmédiatiques contemporains. On pourrait être ainsi amené à montrer que la pop culture ne se réduit pas à une marchandise destinée à des masses anonymes et consuméristes qu'elle viserait à abrutir mais qu'elle est a contrario traversée de contradictions. Certes, l'industrie culturelle vise à s'édifier autour d'un double processus d'uniformisation et de standardisation. Toutefois, elle s'engage aussi fréquemment sur les chemins de la dissidence, proposant à de nouveaux publics des expressions artistiques marginales. Richard Mèmeteau note même que « c’est ce moment d’ouverture aux déclassés, aux freaks, aux minorités et aux insultés qui constitue l’un des moteurs de la pop culture ». On pourra aussi interroger dans ce cadre la façon dont cette dernière met en cause les relations de pouvoir ; et ce, même si, à rebours de la counterculture qui refuse la récupération pour s’opposer au monde marchand, elle accepte volontiers de se trouver appropriée par ce dernier. Cependant, comme le suggérait Michel Foucault dès 1975, « si le discours est récupéré, ce n’est pas qu’il est vicié de nature, mais c’est qu’il s’inscrit dans un processus de luttes ». C'est d'ailleurs peut-être bien parce que la pop culture cherche à construire une subjectivité politique que ses productions évoquent si fréquemment l'entrée en lutte d’une communauté ou d'un personnage, ce que représente, de façon emblématique, le Han Solo de Star Wars. Un phénomène analogue joue à plein dans la musique pop dont les aspects commerciaux apparaissent clairement – tout comme dans le rock, le punk ou le hip-hop, au demeurant. Mais, curieusement, si ces styles musicaux sont standardisés, les artistes exhibent des personnalités extravagantes qui empêchent le public de se réduire à une masse de consommateurs passifs, invitant même les individus à se construire une identité singulière et à revendiquer leur liberté au sein de la « communauté interprétative » à laquelle ils appartiennent.

Dans cette perspective, on pourra aussi s'intéresser à la posture camp, jeu postmoderne sur le kitsch, l’absurde, le grotesque, le détournement systématique des normes, la valorisation méthodique de la spontanéité. Cette dernière, toutefois, ne doit pas laisser penser que la pop culture ne serait que vacuité et frivolité. Après tout, lorsque, par exemple, Lady Gaga affirme que sa seule ambition ne fut jamais que de devenir une star, elle assujettit bien la musique et la dance à la réussite sociale. Mais elle propose dans le même temps aux exclus et aux marginaux de devenir eux aussi des stars à travers elle et d'inventer « a race within the race of humanity, a race which bears no prejudice, no judgment, but boundless freedom ».

On pourra aussi examiner la manière dont la pop culture renouvelle de fond en comble non point seulement des mythes mais le processus de mythologization lui-même (E. W. Rothenbuhler & M. Coman). Dans ce cadre, on pourra se pencher sur les phénomènes de resémantisation qui affectent les méta-récits (Mirror, Mirror de Tarsem Singh) ou les dispositifs d'hybridation qui ébranlent les codes romanesques (Night Film de Marisha Pessl). Au-delà, il sera loisible de s'attacher à montrer comment et pourquoi peuvent entrer en concurrence spiritualité et technicité (Star Wars) ou analyser la mise en scène dans les productions de la culture de masse des rouages des sociétés de contrôle tels qu'ils ont été étudiés par Gilles Deleuze. On pourrait interroger la reprise, fréquente, de la figure du héros solitaire devant sauver un peuple présenté comme faible (V for Vendetta, Avengers), passif ou incapable (a contrario, dans le Batman de Christopher Nolan comme dans le Snowpiercer de Joon-ho Bong, le peuple joue un rôle déterminant et son action devient décisive). D'autres motifs, connexes, pourront être étudiés dans les divers domaines de la pop culture. Parmi ceux-ci : le modèle de la prophétie qui, de Star Wars à The Legend of Zelda, en passant par les cycles de Matrix ou de Harry Potter, joue un rôle central dans l'imaginaire narratif postmoderne. On pourra également considérer les liens entre cette dynamique prophétique, qui élit un personnage pour accomplir une mission, et la logique ordalique, qui régit tant de productions de la mass culture, des sports extrêmes aux action movies hollywoodiens, en passant par la pratique, éminemment hypermoderne, du binge drinking. L'organisation des codes genrés pourra naturellement aussi être abordée, soit dans des œuvres où ceux-ci sont plus ou moins profondément déconstruits, subvertis ou inversés (All the Boys Love Mandy Lane), soit dans des œuvres qui, a contrario, semblent conforter les hiérarchies ayant cours quotidiennement (House of Cards). Parallèlement, le rapport à la fiction se trouve profondément bouleversée par les fanfictions qui concernent aussi bien les romans (Fifty Shades of Grey) que les manga et les anime, les films, les séries télévisées et les jeux vidéo. On pourra, enfin, s'attacher dans une perspective théorique, aux paradoxes de la pop culture. Comment expliquer, par exemple, que l'individualisation des goûts semble s'accompagner d'une uniformisation toujours plus grande des productions ? Comment se combinent la valorisation de la norme et la thématisation de la résistance, de plus en plus fréquente dans les fictions de la culture de masse ?

Cette liste est, bien sûr, bien loin d'être exhaustive et quantité d'autres sujets et d'autres genres pourront être abordés dans une optique transdisciplinaire. Enfin, selon le sujet choisi, on pourra privilégier des approches théoriques, sémiologiques, sociologiques, culturalistes. On pourra encore user des notions et concepts de cette « pop' philosophie » qui, initiée naguère par G. Deleuze, permet aujourd'hui de renouveler profondément les humanités en les orientant vers ces greater humanities qui, louées récemment par James Clifford à Berkeley, associent études littéraires, sciences du langage, ethnic studies, gender studies, cultural studies, sociocultural anthropology, géographie humaine, sciences politiques, psychologie, études dramatiques et filmiques, performance studies, digital media, etc.

Les propositions – titre et bref résumé – sont à adresser à sebastien.hubier@univ-reims.fr et à frederique.toudoire@free.fr avant le 14 janvier.