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Cygne noir, revue d'exploration sémiotique, n° 6 | 2018 : « En dialogue avec l'histoire »

Cygne noir, revue d'exploration sémiotique, n° 6 | 2018 : « En dialogue avec l'histoire »

Publié le par Université de Lausanne (Source : Emmanuelle Caccamo)

« En dialogue avec l'histoire »

En liant la sémiotique à l’histoire, le titre de cet appel à contribution évoque d’abord les échanges existant entre les pratiques historiographiques et sémiologiques, mais également les diverses histoires possibles de la sémiotique. La science des signes et des processus de signification n’échappe certes pas à la logique qui veut que chaque discipline prenne en charge l’écriture de sa propre histoire. Toutefois, elle est peut-être mieux placée que les autres pour valoriser, au cœur de sa pratique historiographique, une réflexivité accrue à l’égard de l’axiome qui veut que l’histoire soit sujette à l’interprétation.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, bon nombre de sémioticiens ont soutenu que l’histoire de la sémiotique était encore à écrire et ont tenté de remédier à la situation en proposant d’en écrire une version plus ou moins étendue. De nombreuses histoires de la sémiotique ont été réalisées à ce jour[1]. Différentes périodisations ont ainsi été avancées qui permettent de restituer une certaine cohérence développementale pour la science sémiotique. D’une protosémiotique antique ou médiévale à notre modernité tardive, des penseurs ingénieux, des écrits marquants et des écoles influentes ont tour à tour apporté un éclairage particulier à l’existence, l’usage et la connaissance des signes et leur interprétation. Restituer une progression historique linéaire permet de mieux se situer au présent. Or, l’histoire s’écrit nécessairement à rebours, comme le montrent bien les travaux de John Deely sur Johannes Poinsot[2] ou ceux de Marcel Danesi sur Giambattista Vico[3]. La sémiotique identifie ses maîtres et ses classiques[4] : de la sorte, elle se choisit une ascendance, voire réinterprète entièrement l’histoire de la philosophie en sa faveur[5]. Elle célèbre également ses morts, par exemple Thomas A. Sebeok à travers la publication d’un ouvrage hommage[6], Algirdas J. Greimas par la tenue récente d’un colloque célébrant son centenaire[7] ou les efforts constants déployés à Tartu pour valoriser les idées de Juri Lotman[8]. Certaines « écoles » ou certains groupes contemporains ont ainsi entrepris d’écrire leur propre histoire[9]. D’autres projets, tels l’Histoire du structuralisme de François Dosse[10] ou Structure et totalité de Patrick Sériot[11], approfondissent notre connaissance historique de pans spécifiques de l’histoire des signes. Enfin, de nombreux ouvrages s’attardent à analyser finement des aspects précis de la pensée de sémioticiens importants pour montrer l’influence historique de leurs idées[12].

S’il existe manifestement un « besoin » d’histoire et de mémoire, les projets d’édition connaissent tous leurs limites : difficile à circonscrire, la pensée sur les signes est trop vaste pour être entièrement restituée. Le schisme bien connu entre la sémiologie saussurienne et la sémiotique peircienne, par exemple, ne manque pas de susciter des dissensions dans l’écriture de l’histoire puisque les deux traditions modernes diffèrent tant dans leurs fondements que dans leurs ambitions. Anne Hénault souligne cette difficulté relative à la définition plus ou moins ambitieuse que l’on donne du signe[13]. Pour Winfried Nöth, « les différentes interprétations de l’étendue de l’historiographie sémiotique sont souvent le miroir des différentes vues de l’étendue de la sémiotique elle-même[14] ». Paul Bouissac affirme pour sa part qu’une histoire de la sémiotique relève d’une sorte de rêve ou de nostalgie disciplinaire[15]. Très critique à l’égard d’un tel projet, Bouissac qualifie même de « généalogie fictionnelle » les tentatives de relier les théories anciennes du signe aux théories contemporaines. John Deely, à l’inverse, défend le projet de s’intéresser aux travaux du passé pour mieux éclairer les problèmes épistémologiques du présent. Un constat s’impose : ni l’histoire de la sémiotique ni les diverses pratiques d’écriture de cette histoire ne permettent d’atteindre un consensus net.

Mesurant ces difficultés, le Cygne noir appelle des contributions portant sur l’histoire conceptuelle de la théorie sémiotique, sur la connaissance du signe et le développement du savoir sémiotique. Plusieurs axes peuvent être abordés : l’historiographie critique du champ du signe[16] ; les historiographies particulières vue par le prisme sémiotique[17] ; l’histoire sémiotique non occidentale ; les écoles et les contextes institutionnels, sociaux et politiques dans une perspective comparatiste[18] ; les échanges réussis ou manqués entre différentes écoles ou contextes[19] ; l’importance d’une œuvre en particulier et son impact historique ; la place des femmes dans l’histoire de la discipline ; les manières d’enseigner l’histoire de la sémiotique. Enfin, le thème de ce numéro, « en dialogue avec l’histoire », ouvre également à l’étude des relations entre l’écriture de l’histoire et la sémiotique[20], à l’analyse sémiotique des représentations de l’histoire dans les productions culturelles[21], ainsi qu’aux histoires fictionnelles qui dramatisent des bribes d’histoire liée à l’étude des signes et de l’interprétation (pensons à certaines fictions d’Umberto Eco[22] ou, plus récemment, au roman loufoque de Laurent Binet, qui met en scène Barthes, Foucault, Jakobson, Eco et bien d’autres[23]).

Nous sollicitons des propositions qui permettent d’approfondir des aspects théoriques de la pensée sur le signe et l’histoire de son développement et/ou qui proposent l’abord sémiotique de tout objet lié à la problématique exposée ci-avant. Les propositions favorisées 1) contribueront à l’avancement des études sémiotiques ou des disciplines connexes en vertu d’une approche sémiotique ; 2) seront à jour en ce qui a trait aux théories, méthodes et données ; 3) feront la démonstration d’une compréhension – et référeront à – des travaux existants dans le domaine traité. Celles-ci pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs des champs suivants : la sémiotique théorique (épistémologie, études culturelles, sémiotique cognitive, biosémiotique, etc.), la sémiotique appliquée (arts, médias, rhétorique, religions, urbanisme, traduction, éducation, etc.), et peuvent également préconiser une approche in-ter-trans-disciplinaire (anthropologie, philosophie, sociologie, psychologie, esthétique, linguistique, communication, etc.). Pour le comité de sélection, l’originalité attendue d’une proposition n’a de limite que sa pertinence.

 

POUR SOUMETTRE UNE PROPOSITION

Candidatures

Deux options s’offrent à vous. Nous acceptons les propositions courtes (500 mots) faisant état de vos intentions de rédaction. Nous acceptons également les manuscrits complets (max. 60 000 caractères). Dans les deux cas, les documents seront reçus par courrier électronique à l’adresse de la revue redaction@revuecygnenoir.org au plus tard le 1er novembre 2017. Veuillez indiquer en objet de votre message : « Proposition : En dialogue avec l’histoire ».

 

Votre proposition courte doit comporter :

1. un titre et un court résumé (500 mots maximum) ;
2. une courte notice biographique (250 mots maximum) incluant les informations suivantes : votre nom complet, votre statut, votre établissement de rattachement et votre département (s’il y a lieu) ainsi que vos coordonnées (adresse courriel au minimum).
 

Votre manuscrit complet doit :

1. compter entre 25 000 et 60 000 caractères, espaces, notes et bibliographie comprises ;
2. être accompagné d’un résumé liminaire d’au plus 250 mots présenté à interligne simple synthétisant le sujet, l’objectif, la problématique, l’hypothèse et la méthodologie de recherche ;
3. suivre le protocole de rédaction (à télécharger ici) ;
4. être au format .rtf ou .docx.

 

Calendrier

Les propositions courtes ou les manuscrits complets seront reçus avant le 1er novembre 2017.
L’acceptation des contributions sera notifiée au plus tard le 15 novembre 2017.
Suite à l’acceptation de votre proposition courte, le texte complet de l’article, déposé aux fins de l’évaluation, sera reçu avant le 15 janvier 2017.
La publication est prévue pour la fin du printemps 2018.

 

Références

[1] Cf. J. DEELY, Introducing Semiotic: Its History and Doctrine, Bloomington, Indiana University Press, 1982 ; A. ESCHBACH et J. TRABANT (dir.), History of Semiotics, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Publishing Co, 1983 ; A. HÉNAULT, Histoire de la sémiotique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je? », 1992 ; W. NÖTH, Handbook of Semiotics, Bloomington, Indiana University Press, 1995 ; J. DEELY, Semiotics Seen Synchronically: The View from 2010, Ottawa, Legas, 2010.

[2] J. DEELY, Tractatus de Signis: The Semiotics of John Poinsot, Berkeley, University of California Press, 1985 [1632] ; J. DEELY, « The semiotic of John Poinsot: Yesterday and tomorrow », Semiotica, vol. 69, no 1-2, 1988, p. 31-127.

[3] M. DANESI, Vico, Metaphor, and the Origin of Language, Bloomington, Indiana University Press, 1993 ; M. DANESI (dir.), Giambattista Vico and Anglo-American Science. Philosophy and Writing, Berlin, Mouton De Gruyter, 1995.

[4] T. A. SEBEOK, The Sign and Its Masters, Austin, Texas University Press, 1979 ; M. KRAMPEN (dir.), Classics of Semiotics, New York, Springer, 1987 [1981].

[5] J. DEELY, Four Ages of Understanding. The first Postmodern Survey of Philosophy from Ancient Times to the Turn of the Twenty-First Century, Toronto, University of Toronto Press, 2001.

[6] P. COBLEY et al. (dir.), Semiotics Continues to Astonish. Thomas A. Sebeok and the Doctrine of Signs, Berlin, De Gruyter Mouton, 2011.

[7] Greimas aujourd’hui : l’avenir de la structure, Paris, UNESCO, 30 mai au 2 juin 2017. Voir l’appel en ligne sur le site de l’Association française de sémiotique : .

[8] Par exemple, la dernière édition de l’école d’été de Tartu portait sur la sémiotique de la culture de Lotman : .

[9] J.-C. COQUET (dir.), Sémiotique : l’École de Paris, Paris, Hachette, 1982 ; M. G. DONDERO & G. SONESSON, « Le Groupe μ. Quarante ans de rhétorique – Trente-trois ans de sémiotique visuelle », Actes Sémiotiques, 2010. En ligne :  ; K. KULL et al., « The institution of semiotics in Estonia », Sign Systems Studies, vol. 39, no 2-4, p. 314-341.

[10] F. DOSSE, Histoire du structuralisme. Tome 1 : Le champ du signe, 1945-1966 ; Tome 2 : Le chant du cygne, 1967 à nos jours, Paris, La Découverte, 2012 [1991-1992].

[11] P. SÉRIOT, Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale, Limoges, Lambert-Lucas, 2012 [1999].

[12] Cf. M. ARRIVÉ & J.-C. COQUET, La sémiotique en jeu : à partir et autour de l’œuvre d’A. J. Greimas, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Co. 1987 ; A. DE TIENNE, L’analytique de la représentation chez Peirce : la genèse de la théorie des catégories, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1996 ; E. ANDREWS, Conversations with Lotman. The Implications of Semiotics in Language, Literature, and Cognition, Toronto, University of Toronto Press, 2016 [2003].

[13] A. HÉNAULT, Histoire de la sémiotique, op. cit.

[14] W. NÖTH, Handbook of Semiotics, op. cit., p. 12.

[15] P. BOUISSAC, « The “golden legend” of semiotics », Semiotica, vol. 17, n0 4, 1976, p. 371-384 ; P. BOUISSAC, « Praxis and semiosis: The “golden legend” of semiotics revisited », Semiotica, vol. 79, no 3-4, 1990, p. 289-306.

[16] Par exemple : S. KIM, « À propos d’un projet d’histoire de la sémiotique (questions et problèmes épistémologiques », Langages, no 107, 1992, p. 28-37.

[17] À l’exemple d’A. HERREMAN, La topologie et ses signes. Éléments pour une histoire sémiotique des mathématiques, Paris, Harmattan, 2000.

[18] Par exemple : P. SÉRIOT, « Barthes and Lotman: Ideology vs culture », Sign Systems Studies, vol. 44, no 3, 2016, p. 402-414.

[19] Par exemple : E. LANDOLT, « Histoire d’un dialogue impossible : J. Kristeva, J. Lotman et la sémiotique », Langage et société, no 142, p. 121-140.

[20] On pense notamment à M. De CERTEAU, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2002 [1975] ; P. RICŒUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 2003 [2000].

[21] À l’instar de I. LOTMAN & B. OUSPENSKI, Sémiotique de la culture russe. Études sur l’histoire, trad. du russe et annoté par F. Lhoest, Lausanne, l’Âge d’homme, 1990.

[22] En particulier : U. ECO, Le nom de la rose, trad. de l’italien par J.-N. Schifano, Paris, LGF, coll. « Le livre de poche », 1987 [1980].

[23] L. BINET, La septième fonction du langage, Paris, Grasset, 2015.