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La rue dans tous ses états (Abidjan)

La rue dans tous ses états (Abidjan)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Prof. Adama Samaké)

  COLLOQUE INTERNATIONAL : LA RUE DANS TOUS SES ETATS

UFHB : JEUDI 26 OCTOBRE - VENDREDI 27 OCTOBRE 2017

Sous la coordination de Béatrice N’guessan Larroux

            Au cours des dernières décennies, on a vu le concept d’espace, d’abord abordé comme un tout et comme une notion massive, se décomposer en niveaux et en phénomènes sériés par les différentes disciplines qui se sont emparées de lui. On ressent aujourd’hui le besoin de prendre en compte des unités discrètes, apparemment simples mais qui peuvent retenir toute notre attention critique.  Tel nous paraît le cas de la rue dont l’intérêt est sans cesse renouvelé par les sciences humaines.

Entendre la rue comme un « espace aménagé pour la circulation, bordée d’immeubles » reste problématique car la longueur, la largeur, les pratiques diverses qui s’y observent fixent son statut à l’intérieur d’un hyperonyme – la voirie –  aux linéaments plus complexes. Ainsi, par exemple, le quai (on peut songer au célèbre 36 Quai des orfèvres), l’avenue, le boulevard, le passage, l’impasse, la chaussée, l’esplanade, le square, le carré ne sauraient s’identifier à des rues même s’ils répondent en partie aux critères de définition ci-dessus mentionnés.

Phénomène historique dont la ville tire en très grande partie son poids d’urbanité, la rue possède des caractéristiques et une mythologie propres révélées dès le dix-huitième siècle  (s’impose Le Tableau de Paris de L-S Mercier) et conduites à leur expression la plus élevée au dix-neuvième siècle. Cette urbanité offre des signes lisibles selon Walter Benjamin et Stierle Karlheinz sans toutefois se prêter à une lecture comparable à celle d’un récit – on ne lit  pas une ville comme on lit un roman ! Mais, comme on le voit dans l’œuvre de Patrick Modiano, une simple adresse et un nom de rue dans l’annuaire ont le pouvoir de solliciter la mémoire et l’imagination du romancier.

 En outre, la rue est diversité éclectique. Sa qualité première – voie de circulation – n’en fait pas moins un réceptacle de voix. Le genre théâtral y est sensible (cf Lorenzaccio de Musset). Sa pratique peut la rendre inaudible comme elle peut en faire un espace sonore. (cf Histoire du silence et Les Cloches de la terre d’Alain Corbin). Commerce et trafics en tous genres s’y exercent. Lieu de rencontre (chronotopique par excellence), des relations sociales s’y tissent, des peurs et des angoisses y sourdent, la violence peut y éclater dans une brutalité inouïe. A l’inverse, les cancans, la rumeur, des sonorités particulières peuvent conférer à telle rue une fonction « naturante » (Pierre Sansot). Espace produit par les institutions soucieuses de codifier la voirie urbaine, la rue et ses façades engendrent à leur tour différences et hiérarchies : entre extérieur et intérieur, public et privé, richesse et pauvreté, etc. Elle trouve ainsi sa place au cœur même de la civilisation.

 En littérature, la rue semble entretenir de vieilles affinités avec l’esthétique réaliste, ce que les Goncourt proclament dans la préface de Germinie Lacerteux (« ce livre vient de la rue »). Cependant on est frappé de la constance avec laquelle elle est réinvestie : par le flâneur ou la flâneuse romantique, l’écrivain « rualiste » (Jules Vallès), les poètes de la modernité, les surréalistes, jusqu’aux écrivains et artistes de la surmodernité  mondiale.

Loin d’être seulement objet d’imitation ou d’inspiration, la rue a été et demeure le lieu de réalisation de formes artistiques. Rappelons à titre d’illustration le lien établi entre la rue comme lieu d’expression et comme thème dans la chanson populaire. Elle est reconnue comme lieu propice à l’émergence de certains genres journalistiques (chronique, fait divers, feuilleton) et du roman policier (Double assassinat dans la rue Morgue de Poe). On ne saurait oublier le septième art qui, dès ses origines, donne à voir le spectacle urbain et transporte (pensons à la Nouvelle Vague des années 60) la caméra dans la rue. Et que dire des créations les plus dynamiques du « street art » ?

Fait de civilisation et donc aussi, fait politique et historique. A l’image des sociétés occidentales, certains pays colonisés puis décolonisés ont dû nommer, débaptiser, renommer les rues. Certaines artères restent indélébiles dans l’imaginaire et la mémoire de certains peuples, comme la Rue Cases-nègres pour les Antillais, la rue Transnonain pour les Français, la rue des Rosiers pour les juifs. Mais la rue évolue, se transforme jusques et y compris dans le monde contemporain, donnant lieu à un nouveau regard posé sur « la vie extérieure » (Ernaux), regard dû également au monde postcolonial ainsi qu’au brassage consécutif aux migrations d’aujourd’hui analysées par la sociologie des mobilités (John Urry).

 « La rue dans tous ses états » se veut une réflexion pluridisciplinaire autour de plusieurs axes qui, en réalité, se recoupent :

Historique et politique. Puisque le tracé des rues relève de l’aménagement du territoire, comment par exemple les colonies puis les nouveaux états africains ont-ils nommé, débaptisé et renommé les rues ? Comment la vocation politique de la rue comme espace public, en particulier de démonstration et de revendication populaire, peut-elle être envisagée dans les diverses disciplines ? Linguistique, stylistique, littéraire. Les noms de rues réelles ou fictives : approche sémantique et stylistique. Les mots de la rue (langue verte, argots, nouchi). Phénomène urbain par excellence, la rue telle que l’entend l’Occident correspond-elle aux mêmes réalités qu’en Afrique ? Comment certaines langues africaines désignent la voirie et ses hyponymes ? Existe-t-il des mots pour distinguer rue et route par exemple ?

Comment la rue est-elle mise en discours et en fiction ? La réflexion pourra porter sur le lien entre rue et généricité (chroniques, roman, récit policier et criminel, poésie, théâtre...) ; sur son mode d’inscription dans les textes (description et narration, tentatives d’épuisement d’un lieu à la façon de Perec).

3) Artistique et interartistique. La rue comme puissance d’engendrement de formes artistiques : genres littéraires, arts visuels, chanson, musiques urbaines, danse, théâtres de rue,  street art, etc.

4) Sociologique et psychologique. Sociologie et vécu de la rue : travailler et vivre dans la rue, phénomènes de prostitution, mendicité, délinquance, etc.  La rue et les rites d’interaction (Goffmann). Expériences topophiles et topophobes. Paysages sonores ou silences urbains. La rue à l’aune de la mobilité sociale.

5) La rue à l’aune de la médecine.  Fait sociologique aux implications complexes voire,  perverses : pharmacopée et médecine de rue ; les médicaments en mode palimpseste ou les vrais-faux médicaments de rue.

Bibliographie indicative

Benjamin Walter, Paris capitale du XIXe siècle, le livre des passages, Editions du Cerf, 1986.

Brody Jeanne, (dir), La Rue, P.U.M., 2005.

Collot Michel, La Pensée paysage, Actes sud, 2011.

Corbin Alain, Histoire du silence, l’Aube, 2005.

Dufour Philippe, Le Roman est un songe, Seuil, 2010.

Fayeton Philippe, Le Rythme urbain : éléments pour intervenir sur la ville,

L’Harmattan, coll. « Villes et entreprises », 2000.

Hamon Philippe, Alexandre Viboud, Dictionnaire thématique du roman de mœurs, 1850-1914, Presses Sorbonne Nouvelle, 2003.

Lynch Kevin, L’Image de la cité, Dunod, 1971.

Mercier Louis-Sébastien, Tableau de Paris (1782), Robert Laffont, coll. Bouquins, 1990.

Mitterand Henri, Le Discours du roman, PUF, 1980.

Modiano Patrick, Discours à l’Académie suédoise, Gallimard, 2015.

Réda Jacques, La Liberté des rues, Gallimard, 1997.

Roncayolo Marcel, La Ville et ses territoires, Gallimard, « Folio », 1990.

Romantisme, Littératures-arts-sciences-histoire, La Rue, Armand Colin, n° 171, 2016.

Romantisme, (Revue du dix-neuvième siècle), Les Grands boulevards, Armand Colin, 2006.

Sansot Pierre, Poétique de la ville, Klincksieck, 1984.

Stierle Karlheinz, La Capitale des signes, Paris et son discours, Maison des sciences de l’homme, 2001.

Urry John, Sociologie des mobilités, Armand Colin, 2005.

Vallès Jules, Le Tableau de Paris, (1882-1883), Berg international éditeurs, 2007.

Younes Chris et Xavier, Perception/ Architecture/ Urbain, 2014.

Les propositions (résumé d’environ 300 mots suivi d’une notice biobibliographique) doivent être envoyées avant le 31 juillet 2017 à l’adresse suivante : adamasamake81@yahoo.fr, nguessan.apollinab@sfr.fr

Date retour :  10 août 2017.

COMITE SCIENTIFIQUE : Marie-José Hourantier (ENS Abidjan), Jean-Yves Laurichesse (Université Toulouse Jean Jaurès), Meké Méïté (UFHB), Kouadio Kobenan N’guettia M. (UFHB), Nicolas Oppenchaim (Université de Tours), Sylvie Vignes (Université Toulouse Jean Jaurès), Koléa Zigui (UAO)