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Documenter les "expériences du choc" de la migration (Poitiers)

Publié le par Marc Escola (Source : Frédérik Detue)

(English version below)

Colloque international 

« Documenter les "expériences du choc" de la migration : 

pour une transformation des représentations sociales ? »

MSHS de Poitiers, Salle des conférences, du 7 au 9 novembre 2018

 

Comité scientifique : Karen Akoka (MCF Université Paris Ouest Nanterre / ISP) ; Olivier Clochard (CR-CNRS / Migrinter) ; Cristina del Biaggio (MCF Université Grenoble Alpes / Le Pacte) ; Frédérik Detue (MCF Université de Poitiers / FoReLLIS) ; Raphaëlle Guidée (MCF Université de Poitiers / FoReLLIS) ; Charles Heller (post-doctorant, The Graduate Institute, Genève / Université de Bologne) ; Nicolas Jaoul (CR-CNRS / Iris) ; Carolina Kobelinsky (CR-CNRS / LESC, Programme ANR MECMI) ; Lilyane Rachédi (Professeure à l’UQÀM, Canada / Programme ANR MECMI).

 

Ce colloque international clôture le programme de rencontres scientifiques « Représenter l’expérience de la migration » inauguré en mars 2016 par une Journée d’étude sur les « Récits d’exilés ». Après l’étude de ces sources que sont les récits des exilé.e.s pour la connaissance des migrations, la question des représentations a été abordée sous deux autres angles : celui des images que les exilé.e.s produisent aussi en nombre afin de documenter leurs parcours migratoires (Journée d’étude, novembre 2016) ; puis celui des discours, des récits et des images qui, depuis un siècle, ont représenté de manière dissensuelle la figure du.de la « réfugié.e » (Journée d’étude, avril 2017). Le colloque a pour ambition à la fois d’approfondir et d’étendre les réflexions engagées au cours de ces différentes étapes, en gardant le cap établi à partir de la notion d’expérience : en ouvrant la parole aux premier.ère.s acteur.rice.s de la migration que sont les personnes migrantes, en l’ouvrant également aux chercheur.euse.s, aux journalistes, aux artistes et aux activistes, il se situera du côté de ces personnes en situation de migration qui, le plus souvent exilées et « illégalisées », ont vécu des expériences « où le choc est devenu la norme » (Walter Benjamin).

[Axe 1 : Analyse et critique des représentations sociales]

Il se propose de partir d’une analyse critique des représentations sociales les plus répandues, qui présentent trop souvent le phénomène migratoire comme un mal en soi contre lequel il conviendrait de lutter. On tâchera de situer ces représentations en déterminant d’où elles émanent et comment elles circulent entre les sphères de pouvoir politique et/ou économique, les organismes nationaux et européens dédiés aux questions d’immigration et d’asile, les instances judiciaires, les médias… Les études de cas, en particulier relatives aux représentations institutionnelles, seront les bienvenues ; on pourra poser la question de savoir si les représentations sont le producteur ou au contraire (alternativement ?) le produit des mécaniques institutionnelles, par exemple dans le cadre des procédures d’asile. L’enjeu sera d’analyser la façon dont ces représentations sont construites – et ce, sur différents plans historiques, géographiques, sociologiques, politiques, juridiques, économiques, etc. –, et dont elles sont incorporées dans des pratiques sociales. On se demandera dans quelle mesure elles relèvent de l’idéologie, entendue ici au sens de « falsification, en général concertée, des faits » ; dans quelle mesure aussi elles sont tributaires ou instrumentalisent des émotions. On s’interrogera en outre sur leur efficience historique dans tel ou tel contexte, eu égard non seulement à leur diffusion dans l’espace public mais aussi, conjointement, au rôle qu’elles jouent dans la détermination de politiques de contrôle. On étudiera enfin l’articulation de ces représentations sociales aux savoirs sur les migrations, étant donné que ceux-ci sont produits par de multiples acteurs et qu’ils sont convoqués par certains pour justifier de telles politiques sécuritaires.

[Axe 2 : Analyse et critique du faisceau de sources documentaires]

Le colloque se propose ensuite d’étudier les représentations qui entreprennent de faire pièce à ces formes de négation en documentant et en analysant les réalités vécues par les personnes migrantes. Là aussi, on aura le souci de situer ces représentations, ce qui supposera, de la part des intervenant.e.s, un effort de réflexivité. Quelles vérités cherche-t-on à rétablir, comment s’y prend-on et quel but poursuit-on, chacun.e depuis la place qu’il.elle occupe ? Comment les chercheur.euse.s, les journalistes, les artistes et les activistes qui n’ont pas d’expérience de migration se positionnent-ils.elles par rapport aux personnes migrantes, et quels ponts s’établissent éventuellement entre les représentations des un.e.s et des autres ? On accordera une attention particulière – mais pas exclusive – aux projets documentaires de ces différent.e.s acteur.rice.s sociaux.ales qui ont abouti à des œuvres en littérature, au cinéma, au théâtre, en photographie, en bande dessinée ou dans les arts plastiques et cartographiques. On produira une analyse et une critique de ce corpus en se demandant si l’élaboration esthétique sert bien toujours opportunément le projet éthique de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité au sujet d’une expérience migratoire individuelle ou collective. Car, sous prétexte de combattre la diabolisation des migrations, des œuvres tombent dans le panneau inverse d’idéaliser ces nouvelles « odyssées » et autres nouveaux.elles « héros.oïnes », et quittent ainsi le terrain de l’histoire pour celui de la légende.

[Axe 3 : Analyse et critique de la violence]

L’hypothèse de ce colloque est que la valeur critique des représentations de ces expériences migratoires peut s’estimer à l’aune de la tâche de documenter les violences subies par les personnes migrantes. La violence, qui entre en tant que condition dans la définition de l’exil, éclaire nécessairement les représentations qui visent à faire imaginer cette expérience. Encore s’agit-il, à la lumière de celles-ci, de s’accorder sur ce que l’on désigne comme une violence : spécialement, les violences documentées correspondent-elles toujours à ce que recouvre la notion de « persécution » promue par la Convention de 1951 relative au statut des réfugié.e.s ? Ces violences sont si protéiformes, au demeurant, qu’elles affectent dans ces représentations d’autres étapes du parcours migratoire que le départ en exil, tendant ainsi à se lier également à la définition de la migration. En ce début de xxie siècle, une telle réflexion s’impose notamment au regard des très nombreuses morts documentées de personnes migrantes aux frontières de l’Union européenne et de l’espace Schengen, par exemple dans des témoignages de rescapé.e.s édités en livres ou recueillis dans des films ; mais cette documentation contemporaine d’une ampleur inédite marque-t-elle un tournant dans l’histoire des représentations de l’expérience migratoire ? Qu’en est-il donc de la forme, de la place et de la fonction prises par le thème de la violence dans ces représentations d’une époque à une autre ? Est-il possible que celles-ci invitent à se figurer les migrations plus anciennes comme des expériences collectivement moins sujettes aux violences ? À partir de ces représentations, un enjeu du colloque sera non seulement de décrire les formes de violence spécifiques liées au contrôle des frontières mais encore de les théoriser, étant donné leur caractère de dispositif. S’agit-il d’une « guerre aux migrants » (Migreurop) ? d’un « conflit de mobilité » (Charles Heller) ? d’un « crime de paix » (Maurizio Albahari) ? d’une « thanatopolitique » (Achille Mbembe) ?... Y a-t-il lieu d’inventer un nouveau chef d’accusation juridique afin que ces violences ne demeurent pas impunies ?

[Axe 4 : Analyse et critique de la valeur d’usage des représentations documentées]

Documenter les « expériences du choc » de la migration est un besoin impérieux face aux représentations sociales qui les nient. Pour le mesurer, on sera attentif.ive.s spécialement aux documents personnels que sont les récits et les images produit.e.s par les personnes migrantes et à ce qu’ils transmettent de concret et de sensible, vu l’importance pour les auteur.rice.s d’attester les faits. Cependant, l’enjeu critique n’est pas seulement de faire ressortir que des représentations documentées en réfutent d’autres, mensongères. Le problème essentiel qui se pose est relatif à la responsabilité des représentations répulsives dans les violences qui sont commises. De fait, représenter les migrations comme un mal en soi passe souvent par un argument juridique : on se fonde sur le fait que, nonobstant la liberté de circulation inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à l’époque des États-nations, les migrations sont illégalisées. Or, nombreuses sont les représentations documentées qui dénoncent précisément la judiciarisation des parcours des personnes migrantes, ces dernières étant contraintes de s’affronter à des dispositifs policiers, administratifs et judiciaires de plus en plus sophistiqués. Dès lors, on s’interrogera sur la valeur d’usage des connaissances accumulées dans les travaux tels que ceux de ce colloque : qu’en est-il des retombées de cette activité sociale dans le domaine public, que ce soit dans une visée de critique de la politique ou de justice nationale ou internationale ?

[Axe 5 : Analyse et critique des représentations victimaires]

Un dernier axe problématique du colloque déplacera l’attention de la représentation des migrations vers celle des personnes migrantes elles-mêmes. Au-delà de la question de l’obtention ou non du statut de réfugié.e, une représentation victimaire des personnes migrantes tend à s’imposer. Dans un sens, celle-ci peut constituer légitimement une reconnaissance des violences subies avant et durant la migration. Cependant, cette représentation sociale a un revers, que le statut juridique de réfugié.e entérine du fait de son ambiguïté : celui de l’essentialisation de la personne migrante comme victime ou paria, par quoi elle s’émancipe des expériences historiques bien réelles vécues par les personnes concernées. Or une telle représentation essentialisante n’est paradoxalement pas imputable seulement à des préjugés xénophobes, racistes et/ou coloniaux. Elle ressort aussi parfois d’une esthétisation de la « condition exilique » suivant laquelle les personnes migrantes sont figurées comme des personnages métaphysiques, représentatifs d’une condition universelle. On se demandera dès lors dans quelle mesure, tout en documentant les violences subies, les représentations de l’expérience migratoire se démarquent de cette représentation victimaire. Le combat des personnes migrantes pour leur survie, leur dignité, leur vérité, leurs droits est-il aussi, lorsqu’elles témoignent, un combat pour transformer cette représentation sociale ?

Les propositions de communication (maximum 300 mots) seront accompagnées d’une notice biobibliographique de l’auteur.rice et seront à envoyer à l’adresse frederik.detue@univ-poitiers.fr d’ici le mardi 15 mai 2018. Elles seront examinées par le Comité scientifique du colloque, qui transmettra sa réponse au plus tard dans la deuxième quinzaine de juin. 

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International Conference "Documenting ‘shock experiences’ of migration: towards a transformation of social representations?"

MSHS de Poitiers, Salle des conférences

November 7-9, 2018

Conference Academic Committee: Karen Akoka (MCF Université Paris Ouest Nanterre / ISP) ; Olivier Clochard (CR-CNRS / Migrinter) ; Cristina del Biaggio (MCF Université Grenoble Alpes / Le Pacte) ; Frédérik Detue (MCF Université de Poitiers / FoReLLIS) ; Raphaëlle Guidée (MCF Université de Poitiers / FoReLLIS) ; Charles Heller (post-doctorant, The Graduate Institute, Genève / Université de Bologne) ; Nicolas Jaoul (CR-CNRS / Iris) ; Carolina Kobelinsky (CR-CNRS / LESC, Programme ANR MECMI) ; Lilyane Rachédi (Professeure à l’UQÀM, Canada / Programme ANR MECMI).

This international conference closes the Academic Research Program untitled ‘Representing the experience of migration’, which began in March 2016 with a workshop on ‘Exiles’ Narratives’. After studying the narratives of people in exile, which are sources for our understanding of migration, we examined the question of its representation using two other approaches: that of the images which exiled people produce in large quantities in order to document their migratory journey (workshop, November 2016); and that of discourses, narratives and images which, for a century, have represented in various and conflicting ways the figure of the “refugee” (workshop, April 2017).

The conference aims both to deepen and broaden reflections initiated along these various steps, all while keeping in sight the notion of experience: by giving voice both to the primary actors involved in migration, the migrant people themselves, and by equally giving voice to researchers, journalists, artists and activists, it will situate itself alongside people undertaking migration who, most often exiled and “made illegal”, have lived through experiences “where shock has become the norm” (Walter Benjamin).

[Approach 1: Analysis and critique of social representations]

The starting point of the conference will be a critical analysis of the most widespread social representations, which all too often present the migratory phenomenon as a problem in itself – against which we ought to fight. We will try to put into perspective these representations by determining where they come from and how they circulate between spheres of political and/or economic power, national and European organizations dedicated to immigration and asylum issues, the judiciary, the media… Case studies, in particular concerning institutional representations, are welcome; we could ask whether these representations produce or, on the contrary (alternatively?), are the product of institutional mechanisms, e.g. in asylum procedures. We will aim at analyzing, from a historical, geographic, sociological, political, judicial, economic, etc., standpoint, how these representations have been constructed and how they have been incorporated into social practice. We will ask to what extent they are informed by ideology, understood here in the sense of “a falsification – in general organized – of the facts”; to what extent they are also channels for emotions and to what extent they instrumentalize them. In addition, we will look at their historic power in different contexts, not only regarding how they spread across the public realm, but also, at the same time, the role they play in determining politics of control. Lastly, we will study how these social representations are articulated in our knowledge about migration, given these are produced by multiple actors and that they are used by certain actors to justify such security policies.

[Approach 2: Analysis and critique of the collection of documentary sources]

We will then study the representations that attempt to counter these forms of negation by documenting and analyzing what migrant people actually experience. Here too, we must be careful to put these representations into perspective, which will require the participants to reflect on their own position. What truths are we trying to establish, how are we going about it, to what end and from what angle? How do researchers, journalists, artists and activists without experience of migration position themselves with regard to migrant people, and, as the case may be, how do these representations relate to one another? We will place a particular – but not exclusive – emphasis on documentary projects from the various social actors that have resulted in artworks – whether in literature, cinema, theatre, photography, graphic novels, in fine art or cartographic art. We will analyze and critique this corpus by asking ourselves if aesthetic production always straightforwardly serves the ethical project of telling the truth, the whole truth and nothing but the truth surrounding the migratory experience – whether individual or collective. Because, under the pretext of challenging the demonization of migrations, works of art can fall into the other extreme of idealizing these new “Odysseuses” and other new “heroes and heroines”, and thereby leave the field of history to enter into that of legend.

[Approach 3: Analysis and critique of violence]

This conference rests on the notion that the critical value of the representations of these migratory experiences can be judged against the task of documenting the violence suffered by migrant people. Violence, which is a defining condition of exile, necessarily illuminates the representations aiming to allow people to imagine this experience. Yet in the light of these representations, does the notion of violence mean the same thing to all of us? More specifically, does documented violence always correspond to what is covered by the notion of “persecution” in the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees? These forms of violence take so many forms that they affect in these representations other stages of the migratory journey than simply the move into exile, and thus tend to be equally linked to the definition of migration itself.

At the beginning of the twenty-first century, we must reflect on this considering the numerous deaths of migrant people at the borders of the European Union and the Schengen area, which are for example documented in the accounts of those who survived, whether edited in books or collected in films. But does this contemporary documentation – on a scale never seen before – mark a turning point in the history of representations of the migratory experience? What is the form, the place and the function of the theme of violence in these representations across different historical eras? Is it possible that these representations invite us to imagine earlier migrations as experiences that were collectively less subject to violence? Drawing from these representations, one of the tasks of the conference will be not only to describe the specific forms of violence linked to the border controls, but also to theorize them, given their function as an apparatus. Is it a “war on migrants” (Migreurop)? A “conflict of mobility” (Charles Heller)? A “crime of peace” (Maurizio Albahari)? A “thanatopolitics” (Achille Mbembe)?... Is there space to invent a new judicial offence so that these acts of violence do not remain unpunished?

[Approach 4: Analysis and critique of the use value of documented representations]

Documenting the “shock experiences” of migration is a pressing need when faced with social representations that deny them. To understand how pressing this need is, we must be especially attentive to personal documents: the stories and the images produced by migrant people and what they communicate that is concrete and discernable, given the importance the authors of these documents place on attesting the facts. However, what is at stake is not only highlighting that documented representations disprove other, deceiving representations. The essential problem here relates to the responsibility of repulsive representations in the forms of violence that are committed. Indeed, representing migrations as a problem in itself often relies on a legal argument: it is based on the fact that, notwithstanding the freedom of movement inscribed in the 1948 Universal Declaration of Human Rights, in the era of nation states, migrations have been rendered illegal. There are numerous documented representations that denounce precisely the judicialization of the migratory experience, with migrant people forced to go through police, administrative and judicial procedures that are becoming ever more sophisticated. From there, we will examine the use value of the knowledge accumulated, for instance through this conference: what are the repercussions of this social activity in the public domain, whether it is an attempt to critique politics or the justice system at a national or international level?

[Approach 5. Analysis and critique of victimizing representations]

The conference’s final problematic shifts our attention away from the representation of migrations towards migrant people themselves. Beyond the question of whether or not they obtain refugee status, the prevailing representation of them is that of the victim. In one respect, this may legitimately constitute a recognition of the violence they have endured before and during migration. However, this social representation has a drawback, which the legal status as a refugee confirms through its ambiguity: that of the essentialization of the migrant person as a victim or pariah, through which it unmoors itself from the historic and all too real experiences lived by the people concerned. An essentializing representation such as this is paradoxically not only the domain of xenophobic, racist and/or colonial prejudices. It also sometimes appears in an aestheticization of the “exiled condition”, in which migrant people are depicted as metaphysical figures who represent a universal condition. We must then ask ourselves to what extent representations of the migratory experience are distinct from this victimizing representation, all while documenting the violence that is inflicted. Is migrant people’s fight for their survival, their dignity, their truth, their rights, also – when they bear witness – a fight to transform this social representation?

The abstracts for the contemplated papers (maximum 300 words) will be accompanied by a biobibliographic notice of the author and will be sent to the email address frederik.detue@univ-poitiers.fr by Tuesday, May 15, 2018. They will be reviewed by the Conference Academic Committee, which will respond by the second half of June.