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Blé, orge… et dérivés (Tunis)

Blé, orge… et dérivés (Tunis)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Patrick Voisin)

Colloque international « Blé, orge… et dérivés »

Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, Tunis

Laboratoire de Recherches : Études Maghrébines, Francophones, Comparées et Médiation Culturelle

Palais des Sciences, Monastir, Tunisie – 11-14 mai 2017

 

Argumentaire

« "Blé" est le terme générique qui désigne plusieurs céréales appartenant au genre triticum. Ce sont des plantes annuelles de la famille des graminées ou Poacées, cultivées dans de très nombreux pays. » Telle est la définition la plus directement accessible sur internet, proposée par un site très populaire mais bien peu scientifique très souvent. N’y aurait-il rien de plus à en dire ? Ajouter l’orge, des points de suspension et les dérivés de ces céréales permettrait-il d’allonger la présentation de quelques lignes pour combler un vide de matière ? « Blé »… monosyllabe… le mot est si court ! Faut-il en faire toute une histoire même si l’on peut en faire tout un plat ?

C’est oublier bien vite la complexité linguistique liée au mot « blé », c’est oublier comment le blé est arrivé parmi les hommes, c’est oublier les mythes qui ont accompagné la place que le blé a prise dans et pour l’humanité. C’est oublier comment Voltaire joue avec le mot « blé » dans un article de son Dictionnaire philosophique (1764).Quant à l’orge, même si elle est mentionnée dans l’article « Grain » de l’Encyclopédie (1757) de Diderot et d’Alembert, il faut bien dire que, plante herbacée de la même famille des Poacées que le blé, et pourtant plus ancienne semble-t-il – puisque parfaitement connue dans le Croissant fertile dès le néolithique et déjà attestée au-delà, tant sous les Tropiques qu’en Finlande –, elle s’est faite beaucoup plus discrète… moins noble que le blé, sans mythe, peu propice à développer l’imaginaire, utilisée en bouillies et en galettes, terre à terre. Aux classes supérieures le blé, aux paysans et aux animaux l’orge : telle fut la répartition des deux céréales.

C’est donc le blé, attesté depuis le 8è millénaire des temps protohistoriques dans le Croissant fertile, qui a eu pour destin d’être l’une des trois grandes céréales au monde avec le maïs et le riz, céréale privilégiée dans la civilisation occidentale et au Moyen-Orient, la culture du riz étant liée à l’Asie et celle du maïs à l’Amérique centrale (où il est apparu) et méridionale puis au corn belt de l’Amérique du Nord. La tradition fait du blé une étape fondamentale dans l’évolution de la vie humaine sortant du néolithique : en ont découlé l’agriculture, la sédentarisation, le commerce, mais aussi des conquêtes et la colonisation si l’on pense à l’Empire romain en Asie Mineure et en Afrique du Nord. Et tout le monde a cherché depuis à « faire du blé », au propre ou au figuré ! Car, comme le disent des proverbes, cette sagesse populaire, « bon champ semé bon blé rapporte » ! Et, bien entendu, « c’est du blé en grenier » !

« Ne nous remets pas au gland quand nous avons du blé » : Voltaire rappelle ici, dans la section 6 de son article, qu’un jour la déesse Déméter-Cérès fit le don du blé aux humains par le mythe de Triptolème qui apprit au monde comment le cultiver, ce que l’Hymne homérique à Déméter explique avec une fonction étiologique ; Xochiquetzal apporta de même le maïs dans l’Amérique précolombienne. Le blé symbolise par conséquent le don de la vie qui ne peut être qu’un don des dieux, la nourriture essentielle et primordiale. C’est à sa consommation que l’on distingue les hommes civilisés des barbares et des monstres : dans l’Odyssée d’Homère, en franchissant le Cap Malée qui sépare la Méditerranée orientale et la Méditerranée occidentale, Ulysse quitte le monde des « mangeurs de pain » et va affronter, entre autres créatures cannibales, le Cyclope. Chez les Égyptiens, l'épi de blé était un emblème du dieu Osiris, symbole de sa mort et de sa résurrection. Bref, avec le blé, l’homme n’était plus voué à vivre de la chasse et de la cueillette ; il n’allait plus partager les glands avec les animaux, comme le raconte le poète latin Lucrèce dans son De Natura Rerum à la gloire d’Épicure. Et, grâce à Prométhée qui vola aux dieux le feu et le remit aux humains pour éclairer leur vie, il allait être possible de cuire la farine et de faire du pain, des gâteaux, de la pizza ! La farine de toutes les sortes de blé allait servir à toutes sortes de cuisines : la bsissa pouvait voir le jour et être célébrée à Lamta autour d’un couscous osbène ! Les potentialités d’une mythologie alimentaire et culinaire allaient rencontrer un certain Roland Barthes qui, en 1964, dans le prolongement de Mythologies (1957), a laissé une étude célèbre sur la publicité des pâtes Panzani dans un article de la revue Communication sur « la rhétorique de l’image » !

Mais gardons Voltaire comme fil conducteur… À la lettre B de son Dictionnaire philosophique, il écrit « Blé ou bled ». Et, si l’on cherche le mot « bled » dans un dictionnaire, on trouve soit qu’il s’agit d’une forme ancienne pour désigner le blé, soit que l’on parle du balad, « contrée », « pays », « village » en arabe ou dans l’argot en français. D’où vient le mot « blé » / « bled » ? La linguistique – dans une sorte de clin d’œil à la question de savoir si les ancêtres des Français sont les Gaulois ou les Francs ! – fait venir le mot d’une forme *mlato gauloise devenue*blato pour désigner ce que l’on extrait du blé : la farine ; mais cette étymologie est contestée par le TLFi qui lui préfère l’existence d’un étymon vieux-francique *blâd qui signifie « produit de la terre ». De là dériva un lexique nouveau en ancien français : bléerblaver et emblaver « ensemencer en blé ». L’origine n’est donc pas latine, puisque le mot triticum, qui indiquait que le blé était une plante destinée à être moulue ou broyée par frottement, s’est effacé, même si la source latine est présente dans d’autres mots : milium a donné le mil ou le millet, et frumentum le froment.

Au Moyen-Âge et à la Renaissance, en Europe, le mot « bleds », « bledz », « bleedz », « blees », « bleetz », « bleez », « blés », « bletz », « blez », « bleiz », « blye » ou « blefs » désignait les cultures annuelles et les terres labourées qui les portent, parallèlement aux prés, aux vignes, aux vergers, aux bois et aux eaux, englobant d’autres céréales comme le froment, le seigle, l’orge, l’avoine, les pois, les fèves, le sarrasin et le maïs. « Blé » désignait en fait alors toute plante cultivée donnant des graines pouvant être réduites en farine utilisable pour l’alimentation humaine ou animale. Il ne faut donc pas s’étonner de cette liste dans le goût de certains chapitres de Rabelais : blé amidonnier, blé avrillet, blé barbu, blé compact, blé d’automne, blé de Barbarie, blé de Guinée, blé de Khorasan, blé de Saint Jean, blé de mars, blé de Pologne, blé de printemps, blé de Turquie, blé de vache, blé des Canaries, blé d’Inde, blé d’hiver, blé en herbe, blé ergoté, blé godelle, blé hérisson, blé méteil, blé indien, blé noir, blé poulard, blé tendre, blé sarrasin, blé seigle etc. ! « Blé » prend une valeur générique large qui se distribue ensuite en variétés multiples destinées à inscrire le concept de culture dans celui de nature.

Une section de l’article de Voltaire déjà cité s’intitule « Blé, grammaire, morale » ! Tout un programme ! Presque une poïéthique ! Viatique, en tout cas, pour envisager le blé, l’orge et leurs dérivés au-delà de la simple alimentation. Une forêt de symboles est liée au blé ; on pensait que le blé récolté sous un clair de lune avait valeur de promesse d'amour ou qu’une bonne récolte de blé était un présage d'amour et de mariage heureux ; la jeune fille qui coupait la première gerbe à la moisson était assurée de se marier dans l’année suivante avec un époux à son goût. Dans la poésie populaire roumaine, l'épi de blé est le symbole de la royauté, du pouvoir et du plus haut prestige social ; dans la religion musulmane, on dit que le Prophète consommait les grains de blé en entier.  

Le blé au sens large, ainsi que ses dérivés, nourrit la littérature, quel que soit le continent : au Blé en herbe (1923) de Colette, certes métaphorique, répond Et le blé jaillira (1969) de Ngugi wa Thiong’o ; et les Éditions du Blé mettent en avant la littérature francophone au Québec. Quatre films commencent sur un « plan-champ de blé » : Danish Girl, Gladiator, The revenant, Orgueil et préjudices ; et on a dénombré 41 films dans lesquels un personnage – tel Maximus dans Gladiator – caresse de la main un champ de blé : Le Nouveau Monde, La Terre, Into the wild, etc. ! Quand le vent est au blé, film de Marie Devuyst, célèbre le blé de Wallonie, depuis le champ jusqu’au pétrin du boulanger. La peinture connaît le Champ de blé aux corbeaux ou le Champ de blé avec un faucheur et soleil de Van Gogh, La Meule soleil dans la brume de Monet, Le Champ de blé de Constable et Les cribleuses de blé de Courbet ; on fabrique même de la peinture au blé pour le bâtiment ! Enfin, dans un autre art, Blé est un groupe musical, né d’une rencontre dans un champ de blé ; et le groupe rock français Indochine chante La Chevauchée des Champs de Blé… Au-delà encore, La Semeuse de Millet est devenu un symbole diffusé par la monnaie et le timbre-poste, en France.

Grenier à blé de Rome dans l’Antiquité, l’Afrique qui accueille ce Colloque International a fait du blé son aliment premier : en effet, c’est le grain de blé, débarrassé du son et du germe, puis moulu grossièrement, que l’on appelle « semoule » (du latin simila « fleur de farine »), qui permet de préparer le couscous ; il faut lui ajouter le boulghour du Moyen-Orient, fait de grains sans son, cuits partiellement avant d’être moulus grossièrement. Mais le blé, l’orge, le houblon ont aussi été nécessaires pour élaborer des boissons telles que la vodka et le whisky, alcools forts, ou, à un moindre degré… de titrage, non seulement la cervoise des Celtes et des Germains, mais aussi la bière des Tunisiens, la Celtia ; car l’existence de microbrasseries de l’orge est attestée en Chine et en Égypte depuis 5000 ans. Toutes ces boissons sont fabriquées avec ce que la nature, avec l’aide des dieux, a offert de plus simple aux hommes : de l’eau et des céréales dans lesquelles leur intelligence ajoutée, jointe aux pouvoirs du feu, leur a permis d’inventer leurs délices au-delà des nécessités alimentaires représentées par le pain quotidien et les pâtes abondamment consommées tout autour de la Méditerranée. À Omar Khayyâm, poète perse qui considérait que l’une des trois richesses de l’homme était le pain… avec une femme et du vin, notre contemporain italien répond un peu partout en Europe et à Tunis : Pasta e basta !

Mais ne faisons pas comme Panurge ! Ne mangeons pas déjà notre blé en herbe avant que le colloque n’ait commencé à « produire grain », comme nous le recommande Rabelais par la bouche de Pantagruel dans le chapitre 2 du Tiers Livre, leçon reprise par Molière au début de l’acte 2 de L’Avare puis Voltaire à la section 6 de son article ! En effet, il nous faudra « grain moudre et réduire en farine » puis « cuire pain », conseille le Quart Livre du même François Rabelais, dans l’éloge de Gaster. Suivons plutôt le précepte du poète latin Horace : « Ayez toujours une année de blé par devers vous ! » 

Axes proposés

-    L’économie et l’écologie du blé et de l’orge

-    Mythes autour du blé et des céréales

-    Le blé dans la littérature et les arts

-    La cuisine des céréales

-    Le blé, l’orge et leurs dérivés comme marqueurs culturels et civilisationnels.

Calendrier et modalités

Les propositions de communication doivent être envoyées avant  le 15 mars 2017  par voie électronique à l’adresse : bl.orgebssisacolloque@yahoo.com

Les articles seront proposés à la publication sous réserve d'approbation par le comité de lecture du laboratoire.

Les frais de participation sont de 100 euros (logement, repas, publication et participation à la Foire des Produits du Terroir de Lamta).

Nous restons à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et nous vous remercions par avance de votre collaboration.

Comité scientifique

Habib Ben Salha, Université de Manouba - Tunisie

Sadok Gsouma, Université de Manouba - Tunisie

Hamdi Hmaïdi, Université de Manouba - Tunisie

Abdelouahed Mabrour, Al Jadida - Maroc

Patrick Voisin, Classes préparatoires aux ENS de Paris et Lyon, Pau - France

Simona Modreanu, Université Alexandru Ion Cuza Iasi - Roumanie

Abderrahmane Tenkoul, Université de Kenitra - Maroc 

Sylvie Brodziak, Université de Cergy-Pontoise - France

Françoise Gevrey, Université de Reims - France

Nathalie Roelens, Université du Luxembourg

Françoise Argod-Dutard, Les Lyriades - France

Comité d’organisation 

Habib Ben Salha

Patrick Voisin 

Bessem Aloui

Ibtihel Ben Hmed

Ilhem Saida

Adel Habassi

Hanene Harrazi Ksontini

Donia Maraoub

Faycel Ltifi

Mondher Temanni

Responsable

Habib Ben Salha.

URL de référence :

https://www.labolima.net

Adresse 

Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, Tunis