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Journée d'études :

Journée d'études : "De la culpabilité. Une notion aujourd'hui bafouée ?" (Trent Univ., Ontario, Canada)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Catalina Sagarra)

Appel à communications

7-8 décembre 2019

Trent University

(Peterborough, Canada)

 

De la culpabilité

Une notion aujourd’hui bafouée ?

 

« Responsable mais pas coupable ! » [1] La formule de Georgina Dufoix a fait fureur en son temps, reposant la question de la distinction entre culpabilité et responsabilité. Elle identifie, ce faisant, un des enjeux majeurs de la responsabilité ainsi formulé : peut-on, sans dommage, se penser l’auteur des actes posés et de leurs conséquences tout en dissociant cette responsabilité de la perception de sa propre culpabilité à l’égard des personnes victimes ? En d’autres termes, la reconnaissance de la faute peut-elle effectivement se concevoir indépendamment de tout rapport à la responsabilité ? Dans le cas précité, il en est résulté que si Georgina Dufoix a effectivement reconnu être l’auteure des décisions prises dans l’affaire du sang contaminé, elle a, cependant, refusé d’en assumer les conséquences dommageables, n’ayant, à ses yeux, commis aucune faute légale puisque les décisions prises étaient, en elles-mêmes, non répréhensibles. Un acte sans faute donc, alors même qu’il a causé des dommages graves et fait de nombreuses victimes.

La question ici posée est d’une importance fondamentale, car, si le fait de se dire responsable d’un acte implique nécessairement de s’en reconnaître l’auteur, cela n’a-t-il pas pour conséquence naturelle d’accepter d’en être imputable et, partant, de reconnaître aussi la faute commise dès lors que cet acte a été la cause de dommages. Mais alors pourquoi cette revendication de responsabilité et de non-culpabilité, notamment du point de vue juridique ? Pouvons-nous, à la fois et sans vider de leur contenu les notions de responsabilité, de faute et de culpabilité, nous reconnaître responsable d’actes et de leurs conséquences et ne pas en assumer la faute, donc ne pas nous reconnaître coupable ? N’est-ce pas en quelque sorte dénaturer l’idée même de responsabilité qui présuppose que l’acte posé et ses conséquences puissent être imputés à son auteur ? N’est-ce pas donner une place démesurée à l’idée d’imprévisibilité des conséquences d’un acte, et donc à l’impossibilité, voire à l’incapacité, des acteurs de réfléchir en termes de conséquences ? N’y a-t-il pas, derrière cette idée, une esquive aussi facile qu’éhontée et irrespectueuse des victimes, de leurs droits comme de leurs souffrances ? N’y a-t-il pas danger d’exonération excessive et, partant pernicieuse, lorsque la faute en vient à se confondre avec le seul acte illégal et se trouve, dès lors, atténuée, voire annihilée, au nom de l’enchevêtrement des responsabilités, de la complexité des systèmes décisionnels, de l’impossible action, ou pire encore, au nom d’une idéologie [2] ?

Notre intention, ici, n’est pas de questionner de manière large et indiscriminée le lien entre responsabilité et culpabilité, mais d’étudier la notion de culpabilité dans le cadre de la mise en œuvre de politiques systémiques usant de la violence extrême (génocides, crimes de masse, crimes contre l’humanité, recours à la torture…). Dans cette perspective, nous entendons conduire une lecture de la culpabilité à partir de trois axes de recherche différents :

  • À l’occasion d’un premier colloque (Trent University, 2019), nous chercherons à relier culpabilité, responsabilité et violence politique extrême, dans un effort de compréhension du passage à l’acte que la discrimination systémique d’un groupe de citoyens rend possible.
  • Un deuxième colloque (Université d’Ottawa, 2020) abordera la conception juridique et judiciaire de la culpabilité, autrement dit comment le droit et la justice pensent-ils et mettent-t-ils en œuvre responsabilité et culpabilité, comment en parlent-ils et, partant, quelle est la valeur politique et symbolique du jugement au regard de leur reconnaissance ou de leur non-reconnaissance.
  •  Le troisième et dernier colloque (Université de Fribourg, 2021), fort des enseignements des deux premiers, élargira la réflexion à partir d’une vision davantage axée sur la sociologie et l’éthique. Elle reprendra les notions de responsabilité et de culpabilité en les centrant sur l’idée d’une culpabilité « métaphysique » qui nous rend responsable face "à toute injustice et tout mal commis dans le monde" (Carl Jaspers).

L’appel ci-après concerne exclusivement le colloque de 2019.

 

La culpabilité dans les cas de violence extrême

Ce colloque entend se pencher sur les diverses modalités de la culpabilité lorsque celle-ci s’inscrit dans un contexte de violence extrême (génocides, crimes contre l’humanité), où les persécutions et massacres sont commis sur fond d’antagonismes religieux, raciaux, nationaux ou ethniques, en vue de satisfaire un projet politique délirant reposant sur la construction d’une nouvelle cohésion sociale, exclusive de l’Autre étranger au groupe à refonder.

Ce type de criminalité politique extrême, généralement mise en œuvre par un État, se distingue de la violence née de guerre par la très grande disparité des forces en présence qui oppose, d’un côté, la toute-puissance du criminel à même de mobiliser l’entièreté d’un système d’État au service de la violence et, de l’autre, l’extrême vulnérabilité du groupe victime, constitué de civils totalement désarmés et intégralement persécutés sans discrimination de sexe ni d’âge. En ce sens, cette criminalité de l’extrême apparaît comme étant l’envers radical de la guerre, laquelle met en présence, de chaque côté de la violence, des combattants, dans la mesure où, en l’occurrence, la victime est totalement inoffensive ; elle ne représente, en aucun cas, en aucune circonstance ni d’aucune façon, une menace autre que celle, fantasmée, du criminel. Dès lors, pour amener toute une société à accepter passivement le crime et, plus encore, à participer activement à sa commission, il est nécessaire, voire même impératif, pour les planificateurs et donneurs d’ordres, de déculpabiliser les criminels, complices et spectateurs potentiels, en culpabilisant les futures victimes, érigées pour l’occasion en « ennemi » à abattre. « Eux ou Nous », telle est la logique au fondement de la justification du déferlement potentiel de la violence, telle est la distorsion et le travestissement de la réalité qui aboutissent à ériger en coupable la victime et en victime le coupable au terme d’un pervers mais effectif renversement des rôles.

Cette préparation des esprits au passage à l’acte, le caractère systémique du crime qui implique dans sa commission tous les services d’État (armée, police, justice, médias, éducation…), de même que son caractère massif, parce que nécessairement commis par des centaines, des milliers, des dizaines de milliers et plus d’exécutants, et accepté sans protestation par toute une société, ne peuvent manquer d’interpeler directement les notions de responsabilité et de culpabilité des auteurs de ces crimes. D’autant qu’à écouter ceux-ci, que ce soit lors des procès (Nuremberg, Tokyo, TPIR, TPIY, Procès Eichmann en Israël, Barbie, Papon ou Touvier en France…), des entrevues rarement accordées (Jean Hatzfeld, Une Saison de machettes; 2003) ou des biographies rédigées (Rudolf Höess, Le Commandant d’Auschwitz parle; 1995), ils ne semblent éprouver que très peu, voire aucune culpabilité, tout au plus –parfois –, une vague responsabilité vite escamotée derrière l’obéissance aux ordres, l’absence de haine personnellement éprouvée envers les victimes ou encore « l’air du temps ». Certains vont même jusqu’à chercher à expliquer, voire justifier leurs crimes, sans éprouver, sur le fond, le moindre remords, au nom de la pérennisation des idéaux à l’origine des massacres, leur seule « faute » résidant – éventuellement – dans la « forme » prise par leur réalisation, autrement dit dans les moyens utilisés pour les faire prévaloir. En ce sens, la culpabilité, en tant que modalité énonciative, trouve rarement son logos, y compris au sein des prétoires de justice lorsque les criminels sont poursuivis (plaidoyers de non-culpabilité ou négociation de culpabilité (plea bargaining) en échange d’une réduction de peine).

Il s’agira, dès lors, dans le cadre de ce colloque de chercher à définir et situer la culpabilité/responsabilité :

  • par rapport aux actes commis, sachant que celle-ci recouvre des degrés différents selon l’implication des auteurs dans leur exécution, en distinguant les planificateurs, les donneurs d’ordres, les exécutants – dont ceux qui ont tué « avec gourmandise » pour reprendre une expression des génocidaires hutus parlant des « grands » tueurs –, les complices directs ou indirects, par action ou abstention, et les « spectateurs » passifs à l’intérieur comme à l’extérieur des pays aux prises avec cet type de violence;
  • par rapport, également, à l’attitude des États tiers et de leurs réseaux d’exfiltration, lesquels, au nom de leurs propres intérêts supérieurs, ont soustrait à la justice des grands criminels (nazis exfiltrés aux USA et dans certains pays sud-américains, Hutus exfiltrés en RDC et en France lors des opérations Turquoise ou Amaryllis etc.). Or, en facilitant ces exfiltrations, en accueillant sur leur territoire ces criminels notoires au détriment du droit des victimes à la justice et à la reconnaissance des crimes commis à leur encontre, c’est encore le sens de la culpabilité qui est interpellé, surtout lorsque ces mêmes États exfiltrateurs militent, parallèlement, pour la poursuite en justice de ces crimes de l’extrême.

Il s’agira, également, de centrer la réflexion sur l’appréhension, par les criminels eux-mêmes, de leur responsabilité/culpabilité en fonction de leur degré d’implication et du contexte de commission des actes commis, en essayant de répondre aux questions suivantes, énumérées à titre indicatif mais non exhaustif :

  • Par rapport à quoi ou à qui ces ressentis sont-ils éprouvés et comment les criminels gèrent-ils ces sentiments ? Quelles en sont les causes et les conséquences ?
  • Comment s’organise la doxa et les discours sur soi et sur l’Autre et comment la culpabilité est-elle incorporée ou, au contraire, exclue de ces discours ?
  • Comment se structure la déculpabilisation de soi au regard des intentions criminelles du groupe dominant, lorsque celles-ci visent, à terme, la destruction d’une partie du corps social avec laquelle on avait coexisté jusque-là ?
  • Comment passe-t-on à l’acte tout en sachant que, dans un état de droit, de tels actes sont constitutifs de crimes d’une extrême gravité ?
  • Comment dissocie-t-on culpabilité et responsabilité ?

 

Comité organisateur :

Catalina Sagarra (Trent University, Canada) : catalinasagarr@trentu.ca

Muriel Paradelle (Université d’Ottawa, Canada) : Murielle.Paradelle@uOttawa.ca

Vivianne Chatel (Université de Fribourg, Suisse) : viviane.chatel@unifr.ch

GenObs@trentu.ca

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Informations pratiques :

Les personnes désirant participer à cette première rencontre devront envoyer avant le 15 mai 2019 le titre et le résumé de leur communication (250 mots maximum).

Les propositions pourront être envoyées à l’une ou l’autre des adresses susmentionnées en précisant l'objet « Colloque Trent ». Le comité organisateur fera connaître sa réponse par voie électronique (e-mail) le 30 avril 2019 au plus tard.

Les communications, après évaluation, feront l’objet d’une mise en ligne dans la revue GenObs.

La communication orale ne devra pas dépasser 30 minutes et toute communication nécessitant un appui technique (power point, vidéoprojecteur, etc.) devra être signalée.

Les langues du colloque sont le français et l’anglais.

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Frais d’inscription :

Les inscriptions sont ouvertes à toute personne intéressée par la problématique du colloque.

Le coût de l’inscription est de 100 $.

Pour les étudiant.e.s et les accompagnant.e.s, le coût de l’inscription est de 60 $.

 

Hébergement :

Les informations concernant l’hébergement seront transmises ultérieurement et après acceptation de la proposition.

 

Notes

[1]. Pour rappel, la célèbre formule « responsable mais pas coupable » fut prononcée par Georgina Dufoix, lors du procès des responsables gouvernementaux dans la question du sang contaminé en France. Ces derniers ont été mis en cause en raison du retard pris dans la mise en application d’une politique de santé publique visant à protéger les personnes nécessitant des transfusions sanguines de tout risque de contamination, Georgina Dufoix était alors ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale. Dans la même veine, on peut également mentionner le contentieux opposant Bernard Tapie au Crédit lyonnais au sujet de la vente en 1994 du groupe Adidas, alors propriété de Bernard Tapie, par le Crédit lyonnais. En 2008, un tribunal arbitrait en faveur de Bernard Tapie, condamnant l'État français à verser notamment une indemnité pour préjudice moral d'un montant jugé totalement démesuré. En s'abstenant de contester la décision du tribunal arbitral, la Ministre de l’Économie et des Finances, Christine Lagarde, allait être l'objet d'un procès pour « complicité de faux et de détournement de fonds public ». Le procès s’est conclu par une condamnation pour négligence, avec dispense de peine, au nom de la réputation nationale et internationale de l’ex-ministre, devenue directrice du Fonds monétaire international (FMI).

[2]. Paul Ricœur, dans un plaidoyer célèbre, disculpera Georgina Dufoix de toute faute au nom justement de la difficile gouvernance (ou plus précisément des rapports complexes entre ministre et conseillers), de la difficile appréciation de l’état du savoir relativement au sang contaminé, etc. Paul Ricœur, "Citation à témoin : la malgouvernance" in Paul Ricœur, Le Juste 2, Paris, Éditions Esprit, 2001.