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Buffy contre les vampires : toutes les fables de ta vie.?(Pardaillan n° 9, L. Roudier dir.)

Buffy contre les vampires : toutes les fables de ta vie.?(Pardaillan n° 9, L. Roudier dir.)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Isabelle Rachel Casta)

Buffy contre les vampires : toutes les fables [1] de ta vie...?

Appel à contributions pour la revue Pardaillan n° 9

L. Roudier (dir.)

 

« La série télévisée du XXIe siècle, en avance sur le cinéma, est un lieu d’émergence privilégié de la parole, de l’expressivité et de l’héroïsme des femmes [2] ».

S'il en était besoin, la multiplication des manifestations, des interventions en colloques, des événements multimédiatiques et des contributions sérielles... consacrés à Buffy, la série ET le personnage éponyme, persuaderait de sa prégnance, de son importance, de ses profondes résonances qui, plus de vingt ans après sa naissance, nous intriguent, nous donnent à penser, nous attachent à elles (elles : la série et la créature).

Trois exemples parmi tant d'autres corroboreront cette affirmation : Annick Louis (URCA) présente « Images ultimes : récit et présentation de l’héroïne dans le générique de Buffy the Vampire Slayer (1997-2003) », du 7 mars 2019 au 8 mars 2019, à Reims, à l'occasion du colloque Séries TV: génériques, s/d de Sébastien Hubier & Emmanuel Le Vagueresse (https://www.fabula.org/actualites/series-tv-generiques_88972.php); Claire Cornillon, de son côté, interroge et éclaire la série en d'innombrables moments, que ce soit dans « L’art du teaser : les séquences prégénériques dans quelques séries fantastiques américaines des années 1990 et 2000 », TV/Series n°6, décembre 2014. http://tvseries.revues.org/314, dans « Filming the dream in a TV Show » [Sur l’épisode de Buffy « Restless »], dans le cadre du colloque « Riddles of Form » de l’Association pour l’Etude des Rapports entre Texte et Image, à Dundee, Ecosse, août 2014, ou encore dans « La représentation de l’adolescence dans quelques séries américaines des années 1990 : Angela 15 ans, Buffy contre les vampires et Dawson », dans le cadre du séminaire culturaliste sur l’adolescence, organisé par Vanessa Besand à l’Université de Bourgogne, janvier 2015.

Pourquoi alors chercher à revenir[3], toujours/encore, aux fables – au double sens de fabuleux et de fabulique – qui entrent en synergie, qui viennent à assomption... dans ce show ? Sans doute Anne Besson en donne-t-elle une première justification : «Créée par Joss Whedon, la série pour adolescents a en effet marqué une étape importante dans cette métamorphose, touchant les genres de l’imaginaire, l’esthétique populaire aussi bien que leur perception. Le mélange des genres pratiqué dans Buffy, caractéristique de l’héritage des Pulp fictions, a eu la vertu d’introduire une génération de jeunes gens à des motifs qui ont ensuite connu une diffusion forte et rapide[4]. » La même critique signale par ailleurs le propos de son article « Buffy, carrefour des genres et pratique » dans Philoséries. Buffy tueuse de vampires (sous la direction de Sylvie Allouche et Sandra Laugier, Bragelonne, Essais, 2014, Paris, pp. 39-54), qui retrace l'inscription du « produit » dans une chaîne complexe de traditions, soulignant toujours combien la conciliation, dans le même spectacle, de l'aventure adolescente et du gothique vampirique... n'allait pas de soi.

Mauvais film puis série-culte (mais aussi fictions dérivées, jeux vidéo et comics [5]), l’œuvre Buffy the Vampire Slayer est donc un parangon de transmédialité et de « résistance », au sens interprétatif. Générateur des Buffystudies et du Buffyvers, le monde de la Tueuse se centre sur la notion, discutée et discutable, de désir de mort – un désir d’ailleurs la plupart du temps détesté et refusé, et sur la tragédie de la rédemption. Pourtant, désignée par une forme de conseil des sages, dans l’arbitraire et l’injustice, elle endossera le costume et les capacités d’une « Tueuse de vampires » (comprenons : démons, morts-vivants, esprits malins, corrupteurs, agents du chaos…bref, un panel infiniment plus diversifié que de simples « vampires » – terme choisi pour anaphoriser l’ensemble des créatures nuisibles, venues infecter l’existence normale des simples humains). Chef de meute, messie rayonnant ou accablé, elle s’enfonce dans la wilderness californienne comme les prophètes mormons entraînèrent jadis leurs troupes illuminées et délirantes.

Le climat « thymique » (pour reprendre la problématique du chercheur Mathieu Pierre) de la série n’est donc pas facilement assignable : il se focalise bel et bien sur la question d’un héroïsme-fardeau, d’une « élection » trop lourde, d’un empowerment féminin à la fois désiré et redouté ; ce perpétuel déchirement entre « la poésie du cœur » et « la prose des relations sociales », dirait Hegel, est au cœur de la réflexion critique de Matthieu Letourneux : « L’érotisation de ce péché serait alors une façon d’en dépasser de manière dialogique le caractère répressif tout en intégrant la tradition auquel il est lié [6]».

Le ton est donné, survoltant et saturant la tension narrative jusqu’au zoom littéralement final sur Buffy, toujours seule, endossant la posture traditionnelle de la Tueuse en majesté et en détresse, visage grave, arme en main ou nous toisant, bras croisés ; dans un assez récent colloque[7], des contributeurs s’interrogeaient sur les paramètres vestimentaires autant qu’onomastiques des héros (Nicolas Labarre et Charles Combette) et distribuaient leur « carte zoémique » en trois grandes spécifications : un nom-surnom (la plupart du temps achevé par le suffixe –man ou –women, si anglo-saxon), une mission et une tenue aux couleurs et logo reconnaissables, avec si possible des teintes vives, rouge, jaune, bleue, laissant les mauves et les verts aux méchants ou aux « ambigus ». Si Buffy coche toutes les cases, elle les déborde au sens où la soif d’anéantissement la rend plus indéchiffrable, plus illisible que ses consœurs ou confrères. Mais plus encore que sa force redistributrice, c’est son management diégétique, sa réévaluation permanente, son ironie autoparodique qui assurent l’aura et la pensivité tragique de la série.

Ce constant souci de coller à l’à peu près réel n’empêche pas des épisodes de pure dark fantasy, lorsqu’on quitte les rassurantes demeures californiennes aux façades pimpantes pour rejoindre les cimetières de Sunnydale, la Hellmouth, terre « gaste » qu’on retrouve dans le Grand View de la série Ghost Wisperer, les Mystic Falls de Vampire Diaries, ou l’ensemble des loci horrifiques de Supernatural – pour ne rien dire du désormais canonique Forks de Twilight : « Le phénomène surnaturel dans l’univers du récit, tout comme le récit fantastique lui-même au sein de notre monde, seraient donc à envisager comme les germes d’un mal qui, avec la soudaine violence de l’explosion ou la patience sournoise de la gangrène, romprait l’harmonie du cosmos, détruirait les certitudes qui sont les nôtres [8]».

Du plus gore au plus soft, du cinéma à la bande dessinée, de la sur-interprétation délirante à la grâce pure, le désir de mort de Buffy permet tout, le médiocre comme le sublime, l’émotion et la colère, l’acceptation de la différence ; on atteint là quelque chose de palingénésique, l’Amour, éros et agape mêlés, car « seule la Mort peut (m') l’arrêter [9] » ; c'est dans cette direction qu'il faut encore signaler les propositions critiques de Mathieu Pierre : « Dans Buffy The Vampire Slayer, la fin du monde cotoie toujours l’idée de sacrifice faisant ainsi écho aux propos tenus par la Première Tueuse à Buffy « La Mort est ton cadeau » : le sacrifice ultime de Buffy offrant sa vie dans une victoire messianique à la fin de la 5e saison n’en est qu’un exemple. Les histoires de sacrifice, lorsqu’elles sont investies de significations fantastiques, donnent de l’importance à nos communautés et en augmentent l’altruisme [10] ». Ainsi, pour vaincre Adam, l’hybride créé par L’initiative, une organisation paramilitaire dirigée par une scientifique devenue démente, Buffy fait-elle appel à toute son énergie mystique, prête à mourir à la tâche s’il le faut, soutenue par l’union sacrée du scooby gang ; elle l’emporte in extremis, en faisant intervenir une magie plus ancienne encore que la mythologie grecque et latine – mixte de sagesse hébraïque et d’ésotérisme chaldéen, comme y acquiesce encore Mathieu Pierre quand il rappelle que : « De la rêverie diurne à l’hallucination mentale il n’y a qu’un pas que la série contemporaine aime à franchir, quitte à parfois remettre en cause l’intégralité de son discours en mettant en évidence l’existence de plusieurs représentations de réalités conjointes [11] ».

Otta Wenskus insiste elle aussi beaucoup sur cette synergie de tous les savoirs – de toutes les fables - liant l'épisode de la défaite d'Adam à celui de la résurrection de Buffy en début de 6e saison : « Die Magie der Kabbala, aber vor allem die Agyptens ist eben eher noch finsterer als die in lateinischer Sprache, die Assoziation Agyptisch/Wierdererlebung von dem Toden wurde vermutlich in Falle von Buffy durch den grossen Erfolg des [...] Remakes von The Mummy vertärckt [12] ». La remise en circulation de narrations anciennes viendrait ainsi, comme une isotopie se fraie sa route sous une autre isotopie, capillariser les codes sériels en vigueur en 1997 pour fabriquer du novum, et réactiver une mythogenèse ; c'est ce dont les quelques items suivants vous invitent à vous saisir.

Pistes :

- L'engramme de la fuite : être lâche, une (ré)solution ?
- Narration et rupture : prendre le visage des morts ;
- Losers et vainqueurs : une drôle de dialectique ;
- Faith et le miroir brisé ;
- Riches et pauvres à Sunnydale : une sociologie du scooby-gang ?
- En avant la musique ! Le Bronze et autres intermèdes ; pourquoi ?
- Les star-crossed lovers : thèmes et variations ;
- L'élévation morale, par la spirale et par le feu ;
- Les robots, doubles pitoyables ?
- Buffy/Angel : mourir de ne pas mourir...

Cet étoilement des perspectives permettra certainement de rejoindre l'une des idées-phare de Sandra Laugier, qui balisera notre voyage : « Cette démocratisation de l’héroïsme fait de Buffy une série particulièrement forte et actuelle, pas seulement par la leçon de féminisme, mais par la confiance qu’elle donne, aujourd’hui en chacune, en sa capacité à changer le monde [13] ».

Les propositions de contribution, d’une longueur de 500 à 1000 mots environ et un titre frappant, sont à adresser à zacasta [@] wanadoo.fr pour le 15 janvier 2020 au plus tard. Si la proposition est retenue, l’auteur sera informé avant fin février, et l’article sera demandé pour le 15 juillet 2020. La parution est prévue pour septembre 2020.

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BIBLIOGRAPHIE complémentaire :

– S. Allouche et S. Laugier (dir.), Philoséries : Buffy tueuse de vampires, Paris, Bragelonne, coll. « Essais », 2014.
– N. Carroll, The Philosophy of Horror, New York, Routledge, 1990.
– I.R. Casta, « Car ton sang c’est mon sang : la problématique sacrificielle dans la fantasy vampirique, un merveilleux transcendantal ?»,
- E. Jacquelin et A. Besson, Poétique du merveilleux, Arras, Presses universitaires d’Artois, 2015, p. 245-258.
– P. Mathieu, « Awake ou la multiplication des réalités », Implications philosophiques. En ligne : 13 août 2013, http://www.implications-philosophiques.org/semaines-thematiques/philosophie-des-series/awake-ou-la-multiplication-des-realites
– È. Paquette, « Du repoussoir universel au doute généralisé », Le Magazine littéraire, n° 529, mars 2013, p. 70-71
– W. Schnabel (dir.) « L’Hybride », Les Cahiers du GERF n°7, ILCE Grenoble 3, 2000.
- F. Wertham, Seduction of the Innocent, New York, Toronto, Rinehart & Company, 1954.
- Denys Corel, Antoine de Froberville et Ronan Toulet, « Buffy the Vampire Slayer » et « Comment on dénature les séries en France : le sort de Buffy », in Les Miroirs Obscurs : Grandes séries américaines d'aujourd'hui, coll., Martin Winckler (dir), Au Diable Vauvert, 2005, p. 17–33 et p. 427–433.
- Isabelle Casta, Les Nouvelles Mythologies de la Mort, Honoré Champion, Collection « Bibliothèque de littérature générale et comparée », Paris, 2007, pp. 141-197.

Téléfilmographie

– Angel, Joss Whedon, États-Unis, 1999-2004.
– Buffy the Vampire Slayer (Buffy contre les vampires), Joss Whedon, États-Unis, 1997-2003.


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Notes :

[1] On aura reconnu (ou pas!) l'allusion à une chanson populaire des années 2000 « Toutes les femmes de ta vie », interprétée par les « L5 ».... on a le scooby-gang qu'on peut !

[2] S. Laugier, « Buffy, une étape dans l'histoire du féminisme », Libération, 17 mars 2017, p. 27.

[3] L'effervescence constatée autour de Monica Breen, scénariste d'un éventuel reboot plus « coloré » (moins WASP en tout cas) permet de mesurer la force latente de l'histoire, qui n'a pas encore fini de dire tout ce dont elle était, en quelque sorte, « grosse ».

[4] Anne Besson, « Sérialité et jeune public : panorama des questionnements critiques », pp. 7-20, in Séries et culture de jeunesse, Cahier Robinson n°39, s/d Anne Besson, APU, Arras, 2016, p. 11.

[5] L’exposition L’art des super-héros Marvel (Musée art ludique, Paris, mars-août 2014), a rassemblé sur les quais de la Seine les effigies, statues ou objets de tournage des grands héros Marvel, de Captain America à Iron Man, des 4 Fantastiques à Thor, Hulk, Daredevil et les X Men : planches originales, œuvres de pré-production des films… certaines complètement inédites.

[6] Mathieu Letourneux, Fictions à la chaine, Paris, Seuil, 2017, p. 224.

[7] Colloque international Au-delà des frontières, D. Gachet, N. Vas Deyres et F. Plet, Clare/Telem, Bordeaux, octobre 2014.

[8] D. Gachet, « De quelques figures du Mal dans la littérature fantastique : repères pour une typologie », P. Glaudes et D. Rabaté (dir.), Modernités 29, Puissances du mal, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008, p. 208.

[9] I’ll sleep when I’m Dead, film de Mike Hodges, 2005.

[10] Mathieu Pierre, « Des dieux par épisode : quand la fantasticité sérielle réécrit la Bible », pp. 225-235, in Bible et littérature de jeunesse, Cahier Robinson n° 44, s/d Béatrice Ferrier, APU, Arras, 2018, p. 233.

[11] M. Pierre, « Le psychiatre dans les univers sériels », Cahiers Robinson, n° 43, Soigner, guérir, occire... en littérature de jeunesse, op. cit., p. 119-128, p. 125.

[12] Otta Wenskus, « Die dunkle Seite des Fachs. Latein und andere magische Sprachen », in Translation, Sprachvariation, Mehrsprachigkeit (« Le côté obscur de la discipline : latin et autres langues magiques »), s/d Wolfgang Pöckl, Ingeborg Ohnheiser et Peter Sandrini, Peter Lang, Berlin, 2011, p. 438. C’est nous qui traduisons : « La magie de la kabbale, mais précisément surtout de l’égyptienne, est encore plus sombre que celle du latin. L’association « égyptien-retour d’entre les morts » a probablement été renforcée dans le cas de Buffy par le grand succès du remake de La Momie ». 

[13] Sandra Laugier, « Buffy, une étape dans l’histoire du féminisme », Libération 16 mars 2017, https://www.liberation.fr/debats/2017/03/16/buffy-une-etape-dans-l-histoire-du-feminisme_1556218, article consulté le 22 février 2019.