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Journalisme littéraire et littérature en Europe latine et Amérique latine (Sorbonne nouvelle)

Journalisme littéraire et littérature en Europe latine et Amérique latine (Sorbonne nouvelle)

Publié le par Marc Escola (Source : M. Rosato)

Appel à communication - Journée d’études doctorales

 JOURNALISME NARRATIF ET LITTÉRATURE (EUROPE LATINE - AMÉRIQUE LATINE)

 Université Sorbonne Nouvelle

ED 122 Europe Latine - Amérique Latine

   Au XIXe siècle, alors qu’émerge une culture de masse et que s’étiole la figure traditionnelle du mécène, les écrivains commencent à voir dans le journalisme à la fois un moyen de légitimation et une nouvelle source de revenu (Galgani 2017, p. 46). On voit alors apparaître, à une très large échelle, la figure de l’écrivain-journaliste, magistralement représentée par Balzac dans Illusions perdues (1837) ou par Maupassant dans Bel-Ami (1885). Cette « tentation journalistique des écrivains » (Lits 2001, p. 48) amène ainsi ces deux pratiques, sous-tendues par des rapports différents à l’écrit, à se croiser de manière toujours plus intime, tandis que certains écrivains trouvent dans leur métier de journaliste une inépuisable source d’inspiration artistique. Cette superposition ne s'est toutefois pas faite sans heurts et a donné lieu à de vifs débats concernant la profession de journaliste et la valeur littéraire des écrits journalistiques. En Italie, par exemple, Benedetto Croce affirme que « le mot journalisme est tout d’abord utilisé dans un sens littéraire comme terme péjoratif pour indiquer un type de produits littéraires de qualité inférieure. Il s’agit d’écrits dépourvus d’originalité et de profondeur, que des esprits artificiels et incultes manipulent quotidiennement pour remplir les journaux » (Croce 1908, p. 128-132, nous traduisons).

   Pourtant, de nombreux écrivains italiens se sont consacrés au journalisme : on pensera, entre autres, à Leonardo Sciascia, à Pier Paolo Pasolini, à Italo Calvino, mais également à des autrices telles que Matilde Serao, Anna Maria Ortese ou encore Oriana Fallaci. Pour ces dernières, être journaliste – voire reporter de guerre –, pose la question de l’insertion dans un monde qui a d’abord été un vecteur d’ascension sociale masculin (Aron 2022) et amène, plus largement, à s’interroger sur leur statut social d’écrivaines-journalistes – Fallaci, par exemple, a été l’une des instigatrices du débat autour du féminisme en Italie, dans un contexte où les femmes demeuraient cantonnées à une image et à des rôles traditionnels. Ce phénomène d’engagement à la fois littéraire, journalistique et politique dépasse toutefois largement les frontières italiennes et caractérise la production de nombreux écrivains de langue espagnole et portugaise tels que José Claudino Rodrigues Miguéis, José Saramago ou Mario Vargas Llosa, dont les écrits puisent largement dans le réel. On voit alors carrière de journaliste, littérature et histoire personnelle se fondre et donner naissance à une écriture qui prend la forme d’une chronique littéraire sur la réalité du vécu.

   Non seulement la hiérarchie entre journalisme et écriture littéraire se trouve ainsi remise en question, mais il semble désormais exister un lien indéfectible entre ces deux types d’écriture, en particulier dans le cas de textes qui accordent à la description du réel une importance fondamentale- chez Roberto Saviano, par exemple, qui mène de front écriture fictionnelle et écriture journalistique. De manière spéculaire, dans un certain type de littérature italienne, le réel et les complexités du monde contemporain – criminalité, solitude, précarité, crise des liens sociaux – sont véhiculés par une écriture fictionnelle qui se développe dans des contextes régionaux que l’on pourrait qualifier de périphériques (la littérature des Pouilles, entre Omar Di Monopoli, Mario Desiati ou encore Cosimo Argentina, en est un bon exemple). Cette porosité entre choses vues et fiction – dichotomie qui n’est peut-être pas encore tout à fait dépassée (Dal Falco 2017) – interroge la nature même de l’écriture littéraire et le rôle sociétal de l’écrivain. À l’heure où la littérature ne cesse de jouer avec la notion de référentialité en remettant en question sa propre capacité à adhérer au réel, comment penser cette hybridation entre écriture journalistique et écriture littéraire, et quelles en sont les implications tant éthiques qu’artistiques ?

   La définition de journalisme narratif et/ou littéraire peut nous aider à penser ces pratiques d’écriture. Selon Tom Wolfe, le journalisme narratif, popularisé par le New Journalism qui naît aux États-Unis dans les années 1960, est une forme de journalisme « qui se lit comme un roman » (Wolfe 1975, p. 21), en mêlant la mission d’information du premier et les techniques d’écriture du second. Tandis que le journalisme “classique” s’organise selon le modèle de la pyramide inversée en communiquant au lecteur les informations principales dès les premières lignes de l’article (Vanoost 2016, p. 1), le journalisme narratif a vocation à créer des personnages dont les caractéristiques se développent tout au long d’un récit. Ce type d'écriture amène enfin à mettre en regard l’objectivité revendiquée par les journalistes classiques et la subjectivité qui serait propre au journalisme littéraire (Wolfe 1975), et pose de manière brûlante la question de la place centrale du je de l'auteur et de son articulation avec les présupposés éthiques et la visée informationnelle du journalisme.

   Cette journée d’études doctorales se propose d’abord de réfléchir aux cas d’écrivains qui, mêlant leur pratique artistique à leur métier de journaliste, ont expérimenté, sous différentes formes, un journalisme que l’on pourrait qualifier de narratif, ou de littéraire. Inversement, on pourra s’interroger sur les cas de journalistes pratiquant, de manière secondaire, une écriture de type littéraire. Les problématiques abordées pourront s’articuler notamment autour des axes suivants – qui ne sont toutefois pas exhaustifs, et ne s’excluent pas mutuellement :

1.     Définir le journalisme narratif. Existe-t-il une différence entre journalisme narratif et journalisme littéraire ? S’agit-il d’un genre en soi ou d’une forme hybride, commune à un certain nombre d’écrivains contemporains et hypercontemporains ? Les écrivains eux-mêmes en ont-ils proposé une théorisation ?

2.     Journalisme et littérature : porosités et conflits. Comment la pratique du journalisme et de l’écriture littéraire, qui répondent à des temporalités, à des logiques économiques et à des buts a priori différents, s’influencent-elles mutuellement ? Dans quelle mesure ces deux types d’écriture peuvent-ils constituer, l’un pour l’autre, une valeur ajoutée ? Comment cette hybridation s’est-elle articulée avec les grandes mutations du champ médiatique au XXe siècle ? Existe-t-il des récits construits à partir d’une approche journalistique par des écrivains qui ne seraient pas journalistes de profession ?

3.   Je, journaliste et écrivain. Quelle est la place du je du narrateur dans ces écrits ? Quel pacte de lecture établit-il avec les lecteurs ? Comment ces textes dialoguent-ils avec les genres littéraires relevant de l’écriture de soi ? Enfin, comment s’articulent-ils, d’une part, avec l’impératif de fiabilité du journalisme et, d’autre part, avec la composante fictionnelle de tout récit ?

   Cette journée d’études doctorales s’inscrivant dans le cadre des activités de l’École Doctorale 122 (Europe Latine - Amérique Latine) de la Sorbonne Nouvelle, il serait souhaitable que toutes les langues et aires géographiques concernées soient représentées. Les communications devront, tout en explorant et approfondissant les aspects théoriques de la question, se fonder sur un cas d’étude précis et concret.

  Les propositions, rédigées en français ou en anglais et ne dépassant pas 400 mots, sont à soumettre au plus tard le 30 juin 2024. Accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, elles devront être envoyées aux adresses mail suivantes : mariangela.rosato@sorbonne-nouvelle.fr et cecile.miteran@sorbonne-nouvelle.fr

Les communications dureront vingt minutes et pourront être présentées en français ou en anglais.

 Organisatrices :

Mariangela Rosato (LECEMO, Sorbonne Nouvelle) Cécile Mitéran (LECEMO, Sorbonne Nouvelle)

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Comité scientifique :

Annibale Gagliani (Università del Salento); Ketty Zanforlini (LECEMO, Sorbonne Nouvelle);  Paula Moreira da Silva (CREPAL, Sorbonne Nouvelle); Mafalda Soares (CRIMIC, Sorbonne Université); Nataly Villena Vega (Sorbonne Nouvelle); Sophie Marty (REMELICE, CRIMIC/CRITIC, Université d’Orléans)

 Calendrier 

Les propositions retenues seront annoncées d’ici le 30 septembre 2024. La journée d'étude aura lieu les 15 et 16 janvier 2025 à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle.

Bibliographie :
 

ARON Paul, « Les écrivaines-journalistes entre les deux guerres : notes pour une prosopographie », in Planté, Christine, et al. (dir.), Féminin/Masculin dans la presse du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022, p. 407-434.

CONTORBIA Franco, Giornalismo italiano, vol. I-IV, Milano, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2007-2009.

CROCE Benedetto, Il giornalismo e la storia della critica, 1908.

LITS Marc, « Nouvelle littéraire et nouvelle journalistique », Le français aujourd'hui, vol. 134, n°3, 2001, p. 43-52.

MARCHESCHI Daniela (dir.), Letteratura e giornalismo, vol. I e II, Venezia, Marsilio Editori, 2017.

VANOOST Marie, « Journalisme narratif : proposition de définition, entre narratologie et éthique »,

Les cahiers du journalisme, n°25, printemps/été 2013, p. 140-161.

                        , « Journalisme narratif : des enjeux contextuels à la poétique du récit », Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, n°31, 2016.

WOLFE Tom (dir.), The New Journalism, Londres, Pan Books, 1975.