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Sujets "sensibles" en littératures : réceptions empiriques, nouvelles épistémologies, nouvelles pratiques d’enseignements (Strasbourg)

Sujets « sensibles » en littératures :

réceptions empiriques, nouvelles épistémologies, nouvelles pratiques d’enseignements

 Journées d’étude à l’Université de Strasbourg (INSPÉ), les 21-22 novembre 2024.

 Depuis quelques années, les controverses et vifs débats au sujet des violences sexistes et sexuelles dans les textes littéraires[1] témoignent d’une interrogation éthique grandissante dans le champ littéraire français. De manière générale, les études culturelles, de genre et post-coloniales ont favorisé une (re)lecture des textes littéraires à l’aune de problématiques éthiques et sous l’angle de sujets que l’on pourrait qualifier de « sensibles » : sensibles car ils engagent des expériences subjectives liées à l’intimité et l’affectivité, sensibles parce qu’ils éveillent des questionnements politiques sur les façons de vivre ensemble, d’entrer en relation et de faire monde, sensibles enfin parce qu’ils impliquent d’interroger la sacralisation des textes et de la critique littéraires ainsi que les méthodes et pratiques de lecture et de réception des textes. 

La nomination et l’interprétation des discriminations et des violences dans les textes littéraires suscitent en effet des questionnements épistémologiques cruciaux puisqu’elles obligent à « réfléchir aux relations entre littérature et morale » mais aussi « aux rapports qu’entretient la littérature avec la réalité » [2]. À l’aune du tournant affectif et éthique des sciences humaines, il s’agit donc de penser les méthodes de l’herméneutique littéraire, en interrogeant la place de la subjectivité et de l’ethos dans l’interprétation littéraire et plus largement, les enjeux éthiques de la critique contemporaine.

Il s’agit peut-être tout particulièrement de s’interroger sur le lien qu’entretiennent sujets sensibles, pratiques de lecture et réceptions empiriques : la lecture ou relecture des œuvres qui relève le racisme, le sexisme, la violence sexuelle, la violence coloniale ou encore l’agression du vivant dans ces textes littéraires tient-elle à un positionnement nouveau du sujet-lecteur ou lectrice, appartenant à une communauté interprétative davantage « sensible » à ces enjeux ? Est-elle le résultat de perceptions nouvelles, de nouvelles interprétations collectives, de nouvelles possibilités d’expression et/ou d’une posture de « résistance épistémique » (Medina, 2013) ? On peut argumenter à ce titre que l’émergence de la problématique des sujets sensibles dans les études littéraires tient à la fois d’un intérêt croissant pour la diversité des réceptions et de l’approche des études culturelles, en particulier féministes, qui invitent à « situer » le sujet du discours et de l’interprétation dans le champ social et politique. 

Il s’agit de se pencher également sur ce que la prise en compte de ces sujets sensibles fait à l’enseignement littéraire à tous les niveaux : les corpus, les pratiques, les dispositifs didactiques se modifient-ils face à la perception et la résonance de ces sujets sensibles ? Si oui, comment ? Sans céder à la panique morale, on peut se demander dans quelle mesure ce nouvel angle d’approche peut s’inscrire dans les « révolutions morales » en cours[3] et ce qu’il peut comporter d’opportunités pédagogiques, didactiques et herméneutiques pour l’enseignement des textes mais aussi dans quelles traditions et héritages de l’enseignement littéraire (et plus largement, des sciences humaines) il s’ancre. 

 Les communications pourront situer leur réflexion dans les axes suivants, ou à l’intersection de ceux-ci : 

Axe 1. Sujets sensibles : émergence, représentations, réceptions empiriques

-       définition(s) et cartographie des « sujets sensibles », selon une approche synchronique et/ou diachronique et selon les aires culturelles ;

-       effets des caractéristiques poétiques des textes sur le repérage des sujets sensibles (genre littéraire, lexique employée, références cultuelles présentes dans le texte, énonciation et focalisation, male gaze/female gaze/colonial gaze, etc.) ;

-       problématiques éthiques suscitées par les sujets sensibles (ex. des violences dans les œuvres pour la jeunesse) ;

-       corpus « sensibles » : pour qui ? pourquoi ?

-       sujet-lecteur (Rouxel et Langlade, 2004) et sujets sensibles ;

-       (re)lectures et sujets sensibles : réceptions des œuvres anciennes et lecture actualisante (Citton, 2007) ;

-       lecture programmée vs lecture empirique et affective.

Axe 2. Nouvelles épistémologies, nouvelles méthodologies et études de réception

-       études culturelles, savoirs situés et sujets sensibles ;

-       fonctionnement des communautés interprétatives (Fish, 1980) et ses effets herméneutiques (génération post #MeToo, facteur de genre, contexte post-colonial, etc.) ; 

-       quelles pratiques de lecture face aux sujets « sensibles » : lecture éthico-pratique (Lahire, 1993), esthète, savante, affective, critique, etc. ?

-       diffusion des lectures et réceptions en lien avec les sujets sensibles : rôle des réseaux sociaux, des sociabilités lectorales, etc.

-       enquêtes de réception empirique et prise en compte des problématiques éthiques suscitées par les textes (méthodologies d’enquête, sources de réception, diversité des publics, etc.)

Axe 3. Ce que les sujets sensibles font à la didactique et à l’enseignement

-       pratiques de lecture adoptées en contexte scolaire face à ces textes du passé  (lecture historicisante ou actualisante, lecture éthico-pratique ou lecture esthète, etc.)

-       effets de l’encadrement institutionnel et didactique sur la réception et l’analyse de ces violences (pratique de l’extraction, du paratexte, implicitation des questions sexuelles, etc.)

-       lecture enseignante/lecture des élèves ou étudiant·es : complémentarité, oppositions, variations, attitudes « opportunes » ou « inopportunes » (Renard, 2011);

-       sujet-lecteur, appropriation lectorale et sujets sensibles ;

-       disciplinarisation et didactisation (Ronveaux et Schnewly, 2018) des sujets sensibles : nouvelles pratiques didactiques, nouvelles pratiques pédagogiques ;

-       enseignement de la littérature et formation des futur·es citoyen·nes (Nussbaum, 2010 [2020]) et sujets sensibles ;

-       enseignement scolaire de la littérature et littérature pour apprendre à penser (Chirouter et Prince, 2019) et sujets sensibles ;

-       enseignement, résistance et justice épistémique (Fricker, 2007 ; Medina, 2013).

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Merci d’envoyer vos propositions, d’une longueur de 3 000 signes maximum, avant le 15 juin 2024 à : acmarpeau@unistra.fr et philippe.clermont@unistra.fr

Les journées d’étude se dérouleront les 21 et 22 novembre 2024 à l’INSPE de Strasbourg, 14 avenue de Colmar, 67100, Strasbourg.

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Comité d’organisation :

Philippe Clermont (Configurations Littéraires, Université de Strasbourg) ; Marianne Hillion (SEARCH, Université de Strasbourg) ; Anne-Claire Marpeau (Configurations Littéraires, Université de Strasbourg) ; Aimée-Luce Ponza (Configurations Littéraires, Université de Strasbourg) ; Marie-Jeanne Zenetti (Passages, Université Lyon 2).

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Bibliographie indicative

Badia Janet, « “Dismissed, trivialized, misread”: Re-examining the Reception of Women's Literature through the #MeToo Movement », in Mary K. Holland and Heather Hewett (dir.), #MeToo and Literary Studies: Reading, Writing, and Teaching about Sexuel Violence and Rape Culture, Londres, Bloomsbury Publishing, 2021.

Citton Yves, Lire, interpréter, actualiser, Paris, éditions Amsterdam, 2007.

Chirouter Edwige & Prince Nathalie (dir.), Philosophie (avec les enfants) et littérature (de jeunesse) : Lumières de la fiction, Paris, Raison Publique, 2019.

Fish Stanley, Quand lire c’est faire. L’autorité des communautés interprétatives, trad. de l’américain par E. Dobenesque, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007 [1980].

Fricker Miranda, Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing, Oxford, Oxford University Press, 2007.

Grand d’Esnon Anne et Marpeau Anne-Claire, « Les violences sexuelles dans les textes littéraires. Quels enjeux pédagogiques de lecture, quelle posture éthique pour l’enseignant·e ? », in Nicolas Rouvière (dir.), Enseigner la littérature en questionnant les valeurs, Bruxelles, Peter Lang, 2018, p. 93-119.

Haraway Donna, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism as a Site of Discourse and the Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, vol. 14, n°, 1988.

Harding Sandra, (dir.), The Feminist Standpoint Theory Reader, NY, Routledge, 2004.

hooks bell, Yearning. Race, Gender and Cultural Politics, Boston, South End Press, 1990

Lahire Bernard, « Lectures populaires : Les modes d’appropriation des textes », Revue française de pédagogie, vol. 104, 1993, p. 17-26.

Louichon Brigitte  et Sauvaire Marion, « Le tournant éthique en didactique de la littérature », Repères, n° 58, 2018, . 

Maignant Aurélien, Cohabiter la fiction : lecture ordinaire, univers de croyances et interprétation des mondes littéraires, Archipel essais, 2020.

Marpeau Anne-Claire, « Penser le silence, prendre la parole : expériences de lecture et sujets-lectrices dans les théories féministes littéraires anglo-américaines », RELIEF, vol. 17, n°2, 2023, p. 157–169.

Medina José, The Epistemology of Resistance: Gender and Racial Oppression, Epistemic Injustice, and Resistant imaginations, Oxford, Oxford University Press, 2013.

Merlin-Kajman Hélène, La Littérature à l’heure de #MeToo, Paris, Ithaque, 2020.

Nussbaum Martha, Les émotions démocratiques : comment former le citoyen du XXIe siècle ? (Not for Profit. Why Democracy Needs the Humanities, 2010), traduit par Solange Chavel, Paris, Flammarion, Champs essais, 2020 (2011 pour la première édition).

Renard Fanny, Les Lycéens et la lecture, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.

Ronveaux Christophe et Schnewly Bernard, Lire des textes réputés littéraires : disciplination et sédimentation, Bruxelles, Peter Lang, 2018.

Rouvière Nicolas (dir.), Enseigner la littérature en questionnant les valeurs, Bruxelles, Peter Lang, 2018.

Rouxel Annie et Langlade Gérard (dir.), Le Sujet lecteur : Lecture subjective et enseignement de la littérature, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

Sielke Sabine, Reading Rape. The Rhetoric of Sexual Violence in American Literature and Culture, 1790-1990, Princeton, Princeton University Press, 2002, p. 6. Je traduis.

Wajeman Lise, « Lire le viol », Écrire l'histoire, n° 20-21, 2021, .

Zenetti Marie-Jeanne, « Que fait #MeToo à la littérature ? Lecture féministe et lecture littéraire », Revue critique de fixxions française contemporaine, n° 24, juin 2022.

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[1] Voir à ce sujet les textes de ce qu’on peut appeler l’« affaire Chénier » sur le carnet de recherche intitulé Malaises dans la lecture et la publication de l’ouvrage d’Hélène Merlin-Kajman intitulé La Littérature à l ’heurede #MeToo, Paris, Ithaque, 2020.
[2] Lise Wajeman, “Lire le viol”, Écrire l'histoire, n°20-21, 2021. URL : https://journals.openedition.org/elh/2971. Consulté le 18 janvier 2023.
[3] Voir notamment les travaux de l’institut thématique interdisciplinaire LETHICA de l’université de Strasbourg : https://lethica.unistra.fr/recherche/projet-de-recherche#c52499