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Pharmakon : la rhétorique à la croisée de la magie et de la religion (Strasbourg)

Pharmakon : la rhétorique à la croisée de la magie et de la religion (Strasbourg)

Appel à contribution pour une journée d'étude : 

Pharmakon : La rhétorique à la croisée de la magie et de la religion - 25 octobre 2024 - Université de Strasbourg

Cette journée d’étude se donne pour objectif d’explorer les relations qu’entretiennent la magie, la rhétorique et la religion dans l’Antiquité gréco-romaine. Il s’agit de questionner les frontières, parfois floues, qui distinguent la magie de la religion, en partant du terme pharmakon (φάρμακον) : de fait, le terme est susceptible de s’appliquer aux trois domaines mentionnés, en leur conférant une part d’ambiguité.

Bien des personnages littéraires, figures éminentes de la philosophie ou de la sophistique, ont été accusés d’impiété et traînés devant la justice en raison de l’ambiguïté de leur comportement religieux. L’acte d’accusation se fondait alors sur les termes qui appartiennent au vocabulaire religieux de l’Antiquité. Ces termes, l’impiété et la piété, s’inscrivent également dans les principes de composition des discours rhétoriques, ainsi se distribuent-ils entre le genre dikanikon (discours judiciaire) et le genre épideiktikon (discours d’éloge).

La communication avec les dieux est le but ultime, aussi bien dans la religion que dans la magie. Dans un cas comme dans l’autre, le demandeur cherche à persuader, par son discours, la divinité d’agir. À cette différence près que le discours magique cherche à contraindre la divinité, tandis que la prière cherche à obtenir un bienfait de sa part. Ainsi, la persuasion, en l’occurrence la rhétorique, reste la ligne de partage des deux domaines.

En ce qui concerne le pharmakon, il est à la fois ce qui tue et ce qui sauve. Cette dualité sémantique explique sans doute que Platon, dans le Phèdre, ait comparé ce terme avec l’écriture, perçue à la fois comme le poison et le remède de la mémoire (cf. Derrida, La Pharmacie de Platon). Gorgias, lui aussi, dans un passage de son Éloge d’Hélène réunit le logos et le pharmakon en tant que substances médicinales. De fait, ce rapprochement est d’autant plus pertinent que le pharmakon occupe une place importante dans le corpus hippocratique.

En somme, la notion de pharmakon revêt une triple épaisseur : drogue dans sa dimension magique, remède ou poison en médecine, administré avec maîtrise et intention, et puissance ambivalente en rhétorique. À ces acceptions s’ajoute, dans le lexique religieux, le sens de « bête du sacrifice ». Le pharmakon se trouve au cœur des relations avec les divinités, servant ainsi d’offrande gratulatoire ou expiatoire. Ainsi, cette dernière est liée à la notion de bouc-émissaire, si chère à René Girard, et représente la partie sacrificielle du mot pharmakon.

1. Magie

D’après les témoignages textuels grecs et romains, la magie a été confondue avec la divination et frappée d’interdit. Le mot même fait référence à l’art ou à la science d’un groupe savant, les Mages, tantôt désigné comme perses, tantôt comme babyloniens, dont la science aurait attiré Protagoras, Pythagore et Orphée, par exemple ; de ce fait, les débuts de la pensée rationnelle, placés sous le signe de la philosophie et de la sophistique, sont marqués par l'irrationnel de la pensée magico-religieuse.

2. Rhétorique

J. de Romilly (Magie et Rhétorique en Grèce ancienne) explique que le charme de la rhétorique, une fois neutralisé par la démarche analytique aristotélicienne, brille de nouveau à l’époque de la Seconde Sophistique, cette fois-ci en s’inscrivant bien dans les pratiques religieuses. Aelius Aristide (Discours sacrés), entre autres, incarne la relation tendue entre religion, divination et rhétorique. La magie de la parole agit ainsi sur deux niveaux : l’un somatique et l’autre psychique.

3. Religion

Les frontières toujours équivoques de la magie et de la religion commencent à se tracer plus nettement avec l’apparition de la foi chrétienne. Dès lors, ceux qui veulent accuser une religion la chargent de pratiquer la magie, et ceux qui défendent la leur s’emparent de l’adjectif « vrai » pour la différencier d’autres pratiques divines ; ainsi s’affrontent le christianisme et le polythéisme.

En guise de conclusion et d’ouverture vers cette journée d’étude, voici quelques pistes de réflexion et questions susceptibles d’orienter les contributions : 

Les frontières équivoques entre les trois domaines ;
La dimension performative d’une parole qui guérit ou qui empoisonne ; 
Les modalités d’écriture du discours magique ;
Dans quelle mesure la rhétorique possède-t-elle une dimension performative dans la sphère religieuse et suprahumaine ? 
Comment les usages et les mésusages de la rhétorique s’illustrent-ils dans la théorie et dans la pratique ? 
Quelle est la place de la rhétorique en tant que « technê » dans l’évolution de la magie à la religion ?
Dans quelle dimension le discours rhétorique contribue-t-il à la compréhension des frontières qui se dessinent entre la religion et la magie ?
 
Modalités de contribution

Les propositions doivent être envoyées à l’adresse mail pharmakon.unistra.2024@gmail.com avant le samedi 1er juin 2024 avec les éléments suivants :

  • NOM, prénom, adresse mail
  • Affiliations institutionnelles
  • Titre de la communication (provisoire)
  • Un résumé de 300 à 500 mots

Les propositions seront examinées et sélectionnées par le comité scientifique ; les participants seront notifiés au courant du mois de juin. La journée aura lieu à l’Université de Strasbourg (en présence physique) et donnera lieu à une publication Open acces. Le déjeuner sera offert aux intervenants. Chaque communication comportera 20 minutes d’exposé et 10 minutes de discussion.

La rencontre aura lieu le vendredi 25 octobre à la Misha (Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace) 
*  La diffusion en direct et la participation en visio seraient envisagées, en cas d’empêchement ou de difficulté de déplacement pour les intervenants.

Organisateurs

Comité scientifique

  • Johann Goeken, Université de Strasbourg (Carra, Institut de grec)
  • Agnès Molinier-Arbo, Université de Strasbourg (Carra, Institut de latin)
     
    Bibliographie indicative

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